Auteur de plusieurs ouvrages sur les rapports entre technologies et pédagogies, il vient de publier avec Julie LECOQ un des ouvrages les plus exhaustifs disponibles aujourd'hui sur la pédagogie de la classe inversée dont chacun s'étonne de l'engouement remarquable qu'elle suscite parmi les enseignants qui innovent dans les pratiques pédagogiques à l'ère du numérique.https://www.reseau-canope.fr/notice/classes-inversees.html
Les auteurs proposent une réflexion sur le statut du savoir et la modification de la relation entre enseignant et apprenant que la société numérique accélère.
Dans cet entretien réalisé à la suite de la conférence qu'il donne dans le cadre de la CLISE2016 au séminaire académique organisé à l'atelier Canopé du Val de Marne, il affirme avec optimisme : « Je crois que nous vivons une nouvelle Renaissance »
Un nouvel espace-temps de l'enseigner-apprendre !
Pour Marcel LEBRUN, la pédagogie de la classe inversée permet une évolution de la pédagogie centrée sur l'enseignant vers une pédagogie centrée sur l'apprenant.
Le premier niveau de la classe inversée consiste à déléguer la transmission de savoirs à un média en amont de la classe. Cela permet à l'enseignant de mieux centrer l'apprentissage lors de la présence en classe. Cette translation repositionne les espaces-temps traditionnels de l'enseigner–apprendre : une partie de l'apprentissage se déroule hors de la classe et « rend à cette dernière sa vocation à la rencontre, au caractère social de l'apprentissage ».
Ce premier niveau , implicite de la démarche inductive peut s'améliorer avec le souci de personnaliser et de contextualiser les apprentissages. En structurant quelque peu les ressources mises à disposition avant la classe, en amenant les apprenants à rechercher des ressources sur le Web, en mettant en place des stratégies de déconstruction par conflit-socio cognitif lors du présentiel, l'enseignant accompagne la construction des connaissances par chaque apprenant et l'aide à identifier les savoirs nécessaires pour aller plus loin. En participant aux échanges que l'enseignant - voire d'autres pairs - suscite, les apprenants co-construisent leurs connaissances .
Il s'agit bien de mettre en activité et en interactivité les apprenants dans un nouvel espace-temps ouvert par le numérique .
La nouveauté serait-elle donc là ?
Les démarches expérimentales, modèles d'apprentissage ?
François TADDEI, directeur de Recherche à l'INSERM part du principe que tous les enfants naissent « chercheurs ». Comme les chercheurs, « ils explorent le monde en expérimentant et en adaptant leurs hypothèses en fonction des résultats qu'ils obtiennent. »
Défendant l'idée que la démarche scientifique peut être un modèle d'apprentissage, il accompagne des enfants dans cette démarche, avec le projet des Savanturiers.
Nombre de pédagogues se sont depuis longtemps interrogés sur la nécessite de rendre plus actifs les apprenants . Les enseignants de sciences ont été au premier rang de ceux- là qui , confrontés à la nécessité d'une initiation aux démarches expérimentales ont fait interférer question, hypothèse et expérience dans un aller-retour permanent entre méthode inductive et méthode déductive.
Cette démarche propre aux chercheurs est propice en classe au développement de la créativité et à l'acquisition et à la consolidation de savoirs.
La méthode inductive part d'observations particulières et mène à une hypothèse, à des perspectives plus générales voire à un modèle scientifique. Il s'agit donc d'une généralisation à une classe d'objets de ce qui a été observé sur quelques cas particuliers. Mais l'observation seule de faits ne conduit pas à une connaissance scientifique, car il faut pouvoir en tirer des hypothèses ou des lois permettant d'interpréter la réalité. Cette structuration des connaissances se réalise dans une sorte de synthèse.
Le premier stade de l'observation, de la mesure, de l'enregistrement de données se réalise dans la mise en œuvre expérimentale. En classe cela se traduit dans de véritables travaux pratiques où des savoir-faire nouveaux sont initiés. Mais cela peut également être mis en œuvre grâce à des vidéos et du traitement de données en amont de la classe.
D'autres champs disciplinaires peuvent être de la même façon investigués dans une démarche inductive : lecture de documents historiques, analyse de cartes, recherches documentaires...
Le point de départ c'est bien, face à une préoccupation qui intrigue, qui interpelle, qui interroge, la tentative de réponse à une question. Si le savoir peut se construire à partir d'une question, la formulation d'une hypothèse reste le moment le plus créatif de la démarche car il ne peut s'agir d'une hypothèse choisie au hasard. Seule l'argumentation, voire l'esprit critique, permettra de confronter la conformité de cette « invention » à la réalité. Et c'est bien là que, pour le champ des sciences l'expérience a toute sa place.
La démarche déductive qui part de l'hypothèse pour s'appliquer à un cas d'observation est un bon moyen de confronter donc de vérifier le domaine de validité du modèle scientifique construit avec la méthode inductive. On part du principe pour aller à la conséquence, à la vérification par des exemples.
Ce processus de construction de la connaissance qui fait se succéder des temps d'observations, de confrontations , de validations , devient plus efficient dès lors que l'apprenant est un des acteurs du processus .
Mais à quoi sert le professeur dans la classe renversée ?
Dans la classe renversée, que Marcel LEBRUN définit comme « une extrémité d'un continuum » il y a un changement dans le rapport au savoir : les étudiants vont aller chercher les savoirs eux-mêmes. Le savoir n'est donc plus donné, il devient socialement construit. Et s'il n'est pas découvert, mais inventé, on peut faire le pari, affirme Marcel Lebrun, que l'étudiant peut le construire également.
Avec la classe renversée, "c'est l'étudiant qui va aller chercher lui-même les savoirs , qui va les mettre lui-même dans une certaine forme et qui va construire le dispositif dans lequel ses collègues vont apprendre .
Mais alors, dans ce dispositif, « à quoi sert encore l'enseignant ? »
La question fait sourire Marcel LEBRUN.
« On n'apprend pas tout seul, on apprend en soi... mais on apprend avec les autres. »
L'enseignant est là comme catalyseur, pour faire l'amorce ... pour guider ce phénomène catalytique qui est l'apprentissage !
Je crois que nous vivons une nouvelle Renaissance
Nous abordons dans cet entretien la place du Numérique , pharmakon de ce siècle . Autant remède pour la société et en particulier l'éducation que poison dans ces excès , la technologie de l'internet fait l'objet de controverses et de prises de position très paradoxales. Média horizontal, décentralisée, accessible presque partout et par tous et donc plutôt démocratique, l'internet véhicule également les pires abominations. Et il serait illusoire de croire à la « neutralité » de cette technologie.
Pour Bernard STIEGLER qui emprunte cette notion à Jacques DERRIDA, lui-même l'empruntant à PLATON, dans le célèbre dialogue entre SOCRATE et PHEDRE sur l'écriture, Internet, « c'est le pharmakon de la parole minoritaire, de la parole contestatrice, de la parole qui n'a pas accès aux autres médias...mais, il est aussi le lieu où peut s'épanouir une parole qui va contre la vérité. » Toute technique est originairement et irréductiblement ambivalente : instrument d'émancipation et d'aliénation.
Dans la complexité du monde qui nous entoure il n'est plus possible comme dans les temps anciens d'expliquer un phénomène en présentant comme vérité générale une anecdote de la réalité extraite de livres anciens ou portée par un gourou révélateur.
Pour Marcel LEBRUN, l'homme « fabrique des outils pour donner des espaces de liberté à l'humain » et c'est l'éducation « qui rend les humains capables de disposer de ces espaces de liberté » au service de tous.
« Je crois , dit-il, que nous vivons une nouvelle renaissance où on sait se passer des Dieux comme éléments de compréhension des bonheurs et des malheurs des humains.
L'homme peut comprendre et maîtriser son destin et être capable d'intelligence collective.
Trop de déterminisme n'est pas la bonne approche pour essayer de dessiner les lignes de la future Renaissance . »
Claude TRAN
Vice Président de l'An@é