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Par Michel Wendling, ateliers Amasco : La loi de 2005 a entraîné un très vaste mouvement d’inclusion des enfants en situation de handicap à l’école. 14 ans après, études et rapports se succèdent pour pointer ce qui reste à faire sur ce long chemin si important pour les centaines de milliers de familles concernées… et aussi toutes celles qui ne sont pas concernées par le handicap et qui partagent les mêmes écoles et les mêmes lieux de vacances.

Un constat cru sur les inégalités sociales entre enfants en situation de handicap

Cette étude de la DEPP fait état d’une différence de traitement surprenante entre les enfants en situation de handicap selon leur milieu. Pour ceux qui ont des troubles intellectuels et cognitifs ou des troubles envahissants du développement, la part de ceux qui se retrouvent dans une classe de CM1 ou de CM2 est double chez les enfants d’un milieu très favorisé par rapport aux enfants d’un milieu défavorisé.

La différence est moindre pour les enfants souffrant de troubles du langage et de la parole, ou de troubles visuels, moteurs et viscéraux, mais souvent avec un an de retard pour les plus défavorisés.

Ce constat quantitatif ne dit rien du bien-être des enfants dans chacune des catégories, mais indique que ceux venus de milieux favorisés ont plus de chances de suivre une scolarité sans retard, quel que soit leur handicap.

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L’égalité des chances entre enfants en situation de handicap et enfants qui ne le sont pas est quant à elle plus difficile à mesurer.

Elle consiste à adapter les conditions pour que ces enfants puissent non seulement être inclus avec leurs camarades, mais aussi réaliser leur plein potentiel et s’épanouir sans être en marge du groupe. Voyons la situation à l’école et pendant les vacances.

A l’école, un succès quantitatif, mais une question du bien-être des enfants et des enseignants à creuser

Le nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire a bondi de 100,000 en 2006 à 340,000 en 2018, ce qui est remarquable.

Cependant le rapport Jumel de juillet 2019 indique que « la progression quantitative de l’accueil des élèves et étudiants en situation de handicap dans les établissements scolaires et universitaires ne saurait masquer les graves lacunes dont pâtissent les conditions de cet accueil d’un point de vue qualitatif ».

Pascal Bataille et Julie Midelet écrivaient en 2015 un constat encore actuel sur les réelles difficultés rencontrées dans l’application au quotidien :

« Si la scolarisation constitue aujourd’hui le droit commun, les obstacles à une inclusion réelle restent nombreux : des élèves qui se trouvent en situation de liminalité (jamais totalement exclus ni réellement inclus), une cristallisation des attendus scolaires érigés en norme (« si cet enfant en situation de handicap est dans ma classe, c’est qu’il peut suivre les cours ») constitue de réels points de blocage aujourd’hui. »

Le rapport Jumel insiste sur diverses causes de ces conditions d’accueil difficiles. Il pointe notamment le faible nombre d’enseignants référents, ayant en moyenne 174 élèves à suivre pour s’assurer que les conditions de leur inclusion sont bien réunies, alors que chaque inclusion réussie demande beaucoup d’énergie et d’ingéniosité de toutes les parties prenantes.

Les classes chargées et la difficulté d’y concilier la gestion du groupe et l’attention particulière à l’enfant en situation de handicap sont des défis importants.

Le rapport insiste sur la nécessité d’une formation des enseignants plus robuste et plus proche des réalités du terrain :

« Là encore, c’est une formation pratique qui doit prévaloir, c’est-à-dire sur la pédagogie adaptée plutôt que sur la connaissance scientifique du handicap. M. Nicolas Eglin, président de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (FNASEPH), a insisté « sur la nécessité d’intégrer dans le cahier des charges des maquettes de formation des futurs INSPE la question de l’école inclusive » ; selon lui, « il ne doit pas s’agir d’une formation sur les déficiences, mais sur les pédagogies différenciées, sur l’adaptation pédagogique que doivent mettre en œuvre les enseignants confrontés à une classe comprenant des élèves à besoins éducatifs spécifiques ».

Ces enjeux importants et complexes de moyens et de formations sont essentiels pour que l’idéal d’égalité des chances et d’inclusion porté par la loi de 2005 puisse pleinement être réalisé à l’Ecole ; et qu’elle permette d’aller ainsi vers une société elle aussi plus inclusive.

Le paradoxe des vacances : une inclusion plus « simple » à réaliser qu’à l’école, mais aujourd’hui moins réalisée

Le périscolaire, en particulier en période de vacances, devrait pouvoir permettre l’inclusion plus facilement qu’à l’école. En effet il n’y pas la pression de programmes chargés à respecter ; il y a une très grande liberté dans le choix des activités ; et il y a des taux d’encadrement bien plus élevés qu’à l’école, avec l’obligation légale d’avoir un encadrant pour au plus 12 enfants de plus de 6 ans.

Or le rapport de la Mission Nationale Accueil de Loisirs & Handicap, paru en décembre 2018, fait état que les enfants de 3 à 12 ans en situation de handicap, représentant 1,9% de leur classe d’âge, ne sont que 0,3% des effectifs fréquentant les accueils de loisirs sans hébergement, soit 7 fois moins.

Cette situation contribue à créer une inégalité très marquée : les parents, surtout les mères, d’enfants en situation de handicap arrêtent massivement de travailler ou réduisent leur temps de travail. Elles sont 81% à être impactées dans leur activité professionnelle, et l’absence de solution d’accueil le mercredi ou pendant les vacances en est une cause pour 38% des familles.

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Quand il y a accueil, il est en moyenne pour une durée trois fois inférieure à celle des autres enfants. 30% des familles se sont déjà heurtées à un refus dans un accueil de loisirs, ce qui accentue le parcours du combattant. La situation est particulièrement accentuée pour les enfants ayant un trouble du spectre autistique (TSA) ou un polyhandicap.

Or comme le dit ce rapport, ces lieux de loisirs présentent « ce formidable potentiel d’être les premiers lieux, les révélateurs et les incubateurs d’une société pleinement inclusive ».

Ce paradoxe est un des symptômes les plus criants du manque d’attention prêté en France à l’accueil des enfants pendant les vacances.

Les causes nombreuses sont analysées dans le rapport, mais deux ressortent : en premier lieu, les centres de loisirs sont conçus pour gérer des populations importantes d’enfants, avec une moyenne à 65 enfants par centres ; alors que les centres adaptés ont des projets avec 2 à 3 fois moins d’enfants, pour que les enfants en situation de handicap puissent s’y sentir à l’aise et bien participer aux activités, sans difficultés liées au bruit et à l’agitation notamment. 

En second lieu, les taux d’encadrement, à 12 enfants pour un animateur, la formation, et le turnover des équipes ne se prêtent pas forcément à un accueil individualisé. La solution généralement pratiquée est le renfort d’encadrement, mais celui-ci n’est pas toujours financé et dès lors peut conduire à des refus d’accueil.

L’expérience des Ateliers Amasco : des centres d’apprentissage ludique utilisant l’inclusion pour développer des compétences chez chacun

Notre expérience cherche à montrer qu’un accueil pendant les vacances peut à la fois être ludique, mettre l’accent sur les apprentissages, et être inclusif ; et ce faisant il peut former tous les acteurs de la chaîne éducative à une prise en charge plus différenciée des enfants ; et développer les compétences socio-émotionnelles chez tous les enfants.

A leurs débuts, les Ateliers Amasco étaient juste dédiés à l’égalité des chances. Ils la favorisent par des ateliers en petits groupes de 6 à 8 enfants de 6 à 11 ans par animateur, avec une pédagogie très ludique et des activités très variées, et une forte mixité sociale.

Très rapidement nous avons pu constater que les familles d’enfants en situation de handicap étaient les plus enthousiastes, adhérant à l’association, s’engageant bénévolement, et en parlant autour d’elles encore davantage que les autres familles. Cela nous a conduit à intensifier nos actions et partenariats liés au handicap, auquel plusieurs d’entre nous étaient déjà sensibilisés par des expériences familiales ou professionnelles.

Cette démarche d’inclusion se traduit selon deux axes :

-          L’inclusion des enfants à besoins particuliers pendant la semaine : il s’agit des enfants scolarisés en milieu ordinaire. Il est très rare que leur proportion dépasse 20 à 25% du groupe, et dans ces conditions avec des groupes de 6 à 8 enfants par animateur nous avons pu accueillir sans autre renfort des enfants ayant une AESH à l’école, avec une excellente intégration au groupe et à la plupart des activités.

-          Les temps d’inclusion en jumelage avec des instituts médico - éducatifs. Nous l’avons pratiqué avec des jeunes malentendants, dont certains étaient porteurs de polyhandicap, au sein de l’Institut des Jeunes Sourds de Bourg-la-Reine ; ainsi qu’avec des enfants trisomiques et autistes à l’Institut Médico-Educatif Boucicaut de la Protection Sociale de Vaugirard dans le 15ème arrondissement.

Nous avons pu tirer de ces démarches d’inclusion quelques enseignements :

inclus4-          L’expérience d’ateliers inclusifs de ce type est proprement transformante pour les équipes d’animation et pour les enfants. Pour l’animateur il s’agit de lever ses idées préconçues sur les activités qui vont marcher ou pas. Certains jeux présumés adaptés feront un flop complet, qu’il faut très vite accepter, alors que nous avons été très surpris que des enfants autistes acceptent de rentrer dans des cocons pour y réaliser un spectacle. Il s’agit de ne pas autocensurer ces bonnes idées. Les éducateurs qui vivent au quotidien avec les enfants nous ont dit les avoir redécouverts grâce à certaines activités d’expression corporelle comme les danses folkloriques et les cocons notamment.

-          Et pour les enfants, les rapports de fraternité créés sont saisissants, avec une forte tolérance aux différences parfois importantes ; la présence des animateurs et éducateurs donnant ce cadre rassurant à tous. Les capacités d’adaptation et d’empathie se développent ainsi très vite, avec toutefois une mesure à garder sur la fréquence des temps d’inclusion, l’optimum nous apparaît à ce stade de 2 demi-journées par semaine, pour ne pas trop fatiguer les deux groupes d’enfants.

-          De nombreux animateurs périscolaires ont une grande empathie et une vraie sensibilité au handicap, et apportent beaucoup aux enseignants et futurs enseignants sur ce plan comme sur celui de la gestion de groupes. Notre modèle évolue vers une part plus grande d’animateurs au sein de nos équipes par rapport aux débuts où les enseignants formaient quasiment 100% des équipes.

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-          Les ateliers de communication en langue des signes sont une manière de développer à la fois les fonctions cognitives et l’empathie, et sont devenus un incontournable des ateliers. En très peu de temps les enfants arrivent à maîtriser une cinquantaine de signes.

-          Le travail en amont avec les éducateurs spécialisés des IME est irremplaçable pour connaître les profils d’enfants et doit être bien anticipé pour créer la confiance de l’équipe d’animation dans ses capacités, même plus que pour affiner le détail des activités. Cette appréhension est un des freins majeurs à l’inclusion aujourd’hui et la bonne collaboration entre les éducateurs spécialisés, les enseignants et animateurs nous semble être une des clefs pour la construire.

Notre série fait une pause pendant la trêve des confiseurs. Belles fêtes à tous, et nous nous retrouvons le jeudi 9 janvier pour un article sur le rôle des enseignants dans l’égalité des chances.

Michel Wendling

Ateliers AMASCO

Sources :

Les rapports détaillés des ateliers Amasco à disposition, vous pouvez les demander en commentaire.

Note d’information de la DEPP, en octobre 2016

« Pour la première fois, un regard sur les parcours à l’école primaire des élèves en situation de handicap »

http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/93/3/depp-ni-2016-26-parcours-eleves-handicapes_648933.pdf

Rapport de la Mission nationale Accueil de Loisirs et Handicap,

Un droit pour tous, une place pour chacun, décembre 2018

https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/184000793.pdf

L’école inclusive : un défi pour l’école. Repères pratiques pour la scolarisation des élèves handicapés ; Pascal Bataille, Julie Midelet. Collections « Pédagogies  », ESF Éditeurs, 2014.

https://www.cahiers-pedagogiques.com/L-ecole-inclusive-un-defi-pour-l-ecole-Reperes-pratiques-pour-la-scolarisation-des-eleves-handicapes-9646

RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République,

14 ans après la loi de 2005, Dubois / Jumel :

http://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/15/rap-enq/r2178/(index)/depots

Dernière modification le jeudi, 30 janvier 2020
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