Recommandations :
Le dispositif de classe inversée représente un « véhicule » potentiellement intéressant pour l’apprentissage des élèves, à certaines conditions :
- l’enseignant délimite des objets d’apprentissage adéquats pour le moyen et le moment choisis ;
- l’auto-apprentissage par capsules vidéo ne convient pas à tous les élèves, bien qu’il favorise le respect de leur rythme d’apprentissage ;
- les périodes « hors classe » peuvent être utilisées dans une perspective inductive, ce qui favorise aussi l’activité cognitive de l’élève ;
- la pédagogie active semble être le facteur déterminant du succès de la classe inversée, mais celle-ci n’en a pas l’apanage exclusif.
Rappelons qu’il n’existe pas un seul dispositif de classe inversée, mais une infinité de dispositifs résultant des choix de l’enseignant concernant les paramètres suivants : la nature des apprentissages à réaliser, l’étape du processus d’apprentissage qu’il veut privilégier, les types d’activités mises en place et ses choix de supports numériques. On peut donc considérer que la classe inversée peut être un bon « véhicule » pédagogique, à certaines conditions :
- le souci de favoriser un apprentissage en profondeur, fondé sur un traitement actif de l’information, une recherche de sens et une forte implication de la part de l’élève (par opposition à un apprentissage dit « de surface » qui privilégierait une accumulation passive de connaissances) ;
- une structuration du contenu d’apprentissage qui pourra être médiatisée par la suite (apprentissage hors classe) et exploitée en classe dans la pédagogie active ;
- une scénarisation qui privilégie l’intervention de l’enseignant en réponse aux besoins des élèves.
Comment un dispositif de classe inversée peut-il faire mieux apprendre ?
La classe inversée peut apporter une réelle plus-value à la pédagogie, à la fois hors de la classe et en classe. À cette fin, il est nécessaire d’avoir une idée claire de son potentiel impact sur les différents objets d’apprentissage visés, sur la motivation et l’engagement des élèves, sur leur capacité à acquérir, à comprendre, à appliquer et à mobiliser de nouvelles connaissances, avec ou sans l’aide de l’enseignant, dans des situations complexes. Par exemple, la préparation de matériel d’auto -apprentissage destiné à faire acquérir des concepts de base en biologie précédera des activités de vérification de leur compréhension et d’application dans des problèmes de laboratoire de plus en plus complexes. Ou encore, une séquence médiatisée sur des notions de littérature (hors classe) précédera une séquence de création de textes supervisée par l’enseignant (en classe).
Cibler les objets d’apprentissage
Plusieurs auteurs, dont Marcel Lebrun de l’université de Louvain, suggèrent cependant que les activités d’apprentissage « hors classe » ne doivent pas obligatoirement viser des apprentissages théoriques, mais peuvent aussi permettre aux élèves de réaliser des apprentissages issus de l’observation et de l’analyse de situations concrètes. Il y a donc plusieurs modalités de mise en œuvre d’un dispositif de classe inversée. Qu’il s’agisse de permettre aux élèves de s’approprier de manière autonome des notions théoriques pour ensuite guider leur application en classe ou qu’il s’agisse de favoriser des apprentissages autonomes dans des démarches inductives pour ensuite construire des concepts en classe avec l’enseignant, les activités effectuées hors classe devraient toujours préparer efficacement les élèves à interagir en classe avec leurs pairs et l’enseignant. Par exemple, un enseignant de physique du Wisconsin, Dave Kawesci (dans une expérience décrite en 2013 par Eric Brunsell et Martin Horejsi, respectivement professeurs à l’université du Wisconsin et à l’université du Montana) a choisi une modalité plutôt déductive en fournissant à ses élèves de courtes vidéos portant sur des concepts de physique, accompagnées de courts résumés. Il a régulièrement proposé des petits tests de connaissances sur chacune des vidéos en ligne en dehors de la classe. Cet enseignant a constaté que cette formule lui a permis de consacrer deux fois plus de temps aux apprentissages pratiques dans sa classe.
Ce type de scénarisation tend cependant à rendre les capsules très « transmissives » et à favoriser un apprentissage déductif qui part de la théorie pour aller vers la pratique, ce qui ne conviendrait pas pour tous les contenus d’enseignement, par exemple, tous les apprentissages qui sont favorisés par l’observation ou une approche expérientielle, tels que les attitudes et les valeurs. À cet égard, on observe que de plus en plus d’enseignants tentent de développer des capsules d’auto-apprentissage (le plus souvent au format vidéo) qui permettent d’observer des situations et des faits réels pour stimuler une discussion, faire émerger chez les élèves des constats ou des règles qui seront par la suite exploités en classe avec l’enseignant. Par exemple, des enseignants d’histoire ont proposé aux élèves un ensemble de documents numériques à analyser avant de venir en classe et ont demandé aux élèves de partager leurs découvertes dans des activités interactives en classe (Voir l’article « Un exemple de classe inversée » sur le site d’histoire-géographie de l’académie de Lille). Ces démarches s’apparentent à une scénarisation pédagogique inductive qui n’est donc pas l’apanage exclusif de la classe inversée. Dans ce cas précis, les résultats d’apprentissage doivent donc être analysés au regard des effets de l’induction généralement encouragée par l’observation, les essais et erreurs tolérés, la manipulation, le questionnement et l’expérimentation, ce qui est déjà abondamment démontré dans l’approche par problèmes, par exemple, lorsqu’une étude de cas est proposée aux élèves pour leur faire découvrir de nouveaux concepts (voir Voir « Situation d'apprentissage-évaluation » sur le site Pistes de l’université de Laval).
Susciter la motivation et l’engagement des élèves
Lorsque l’enseignant propose à ses élèves des activités d’apprentissage en dehors de la classe à l’aide de capsules vidéo à contenu théorique ou concret, il doit anticiper la variation possible de leur motivation. Certains élèves sont, en effet, moins enclins à s’engager dans des démarches constructives, car elles exigent un engagement cognitif plus intense et une motivation intrinsèque plus importante. L’auto-apprentissage est donc un défi pour certains élèves et leur engagement est parfois relativement faible, comme le confirme Jacob Enfield de la California State University (2013). Plusieurs enseignants tendent à tester les connaissances acquises au terme du visionnement des capsules (soit avec des tests conçus par eux et disponibles en ligne, ou par des tests papier/crayon de type traditionnel), ce qui, selon eux, permettrait d’éviter le désengagement en offrant aux élèves la possibilité de valider la précision de leur compréhension.
Promouvoir un apprentissage actif et en profondeur
En classe, l’apport essentiel serait de placer les élèves en activité en présence de l’enseignant qui peut alors être le témoin direct de leurs apprentissages et de leurs difficultés. La régulation des apprentissages ou de l’enseignement peut ainsi se faire de manière immédiate et différenciée, comme le confirme Ellen Ullman (2013) dans son analyse de quelques dispositifs de classe inversée aux États-Unis. Pour les professeurs Jamie Jensen, Tyler Kummer de Brigham Young University et leur collègue Patricia Godoy de l’Universidade Potiguar (2015), les effets positifs de la classe inversée seraient clairement dus à la pédagogie active qu’elle permet de mettre en œuvre de manière plus systématique. C’est du moins ce qui découle de leur étude expérimentale dans laquelle ils ont comparé un dispositif de classe inversée avec une classe « non inversée » en ne faisant varier que le rôle de l’enseignant dans les deux dispositifs : lui donnant un rôle actif dans les explications de concepts dans le dispositif non inversé et lui donnant un rôle actif dans l’application de connaissances dans le dispositif inversé. Selon eux, la classe inversée ne produirait pas plus de gains d’apprentissage ou de meilleures attitudes de la part des élèves qu’une classe non inversée dans laquelle l’enseignant proposerait déjà une pédagogie active et constructiviste. Ils suggèrent que les gains d’apprentissage résulteraient surtout du type d’activités proposées plutôt que du moment auquel l’enseignant participe au processus d’apprentissage. Ce constat amène à comprendre que le caractère « novateur » de la classe inversée ne réside pas nécessairement dans des modalités pédagogiques déjà connues qu’elle actualiserait, mais plutôt dans leur agencement et leur cohérence soutenus par un dispositif numérique qui permet de libérer le temps de classe pour l’atteinte de buts d’apprentissage plus élevés ou plus complets en présence de l’enseignant.
Pour conclure
Un dispositif de classe inversée peut se concrétiser dans une grande diversité de scénarios possibles. Il vise à promouvoir une pédagogie active, grâce à une libération du temps de classe pour des activités de réflexion, de conceptualisation, de problématisation et de mobilisation de connaissances sous les yeux de l’enseignant ; il peut permettre un apprentissage en profondeur et un suivi pédagogique adéquat à des moments cruciaux de l’apprentissage tels que la mobilisation de connaissances en situation ou le transfert. Cependant, l’enseignant ne doit pas négliger la part qui lui revient du point de vue de l’explicitation des connaissances et de la démonstration de leur utilisation à l’aide de supports numériques diversifiés. Le dispositif de classe inversée favorise l’apprentissage parce qu’il engage l’élève dans un processus actif dans lequel une évaluation continue prend place, est réellement au service de l’apprentissage et joue un rôle essentiel comme source de régulation pour l’élève et pour l’enseignant.
* Isabelle Nizet - professeure à l’université de Sherbrooke, Québec, Canada* Florian Meyer - professeur à l’université de Sherbrooke, Québec, Canada
Références bibliographiques :
Brunsell E. et Horejsi M. (2013). « A Flipped Classroom in Action ». The Science Teacher, 80(2)
Lebrun M. (2014). « Classes inversées, étendons et “systémisons” le concept ! : Essai de modélisation et de systémisation du concept de Classes inversées». http://lebrunremy.be/WordPress/?p=740
Enfield J. (2013). « Looking at the Impact of the Flipped Classroom Model of Instruction on Undergraduate Multimedia Students at CSUN ». TechTrends, 57(6), 14-27.
Jensen J. L, Kummer T. A. et D. M. Godoy P. (2015). « Improvements from a Flipped Classroom May Simply Be the Fruits of Active Learning ». CBE – Life Sciences Education, 14, 1-12.
Ullman E. (2013). Flipped Classroom. NewBay Media LLC.
Article publié sur le site : http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/que-dit-la-recherche/la-classe-inversee-que-peut-elle-apporter-aux-eleves-92.htm
Auteur : Isabelle Nizet et Florian Meyer, professeurs à l’université de Sherbrooke au Québec
Dernière modification le jeudi, 28 janvier 2016