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l’exemple innovant d’Open H20
Initialement publié sur le site MyScienceWork
La culture de l’ « Open » prend toute son ampleur aujourd’hui. Issue au départ du monde de l’open source, elle inspire désormais de nouvelles façons de penser et d’agir dans des domaines très variés. La recherche peut-elle aussi se trouver transformée et remise en cause dans son organisation et dans ses stratégies ? 
L’équipe de recherche Open H20, à l’origine du projet Protei commercialisant un drone en open hardware, nous donne matière à réfléchir sur un modèle de recherche plus collaboratif et transparent.

Essor d’une culture de l’open, un changement de paradigme sociétal, économique et organisationnel : et la recherche dans tout cela ?
Open source, open data, open education, l’anglicisme “open” est largement employé depuis plus d’un an. Le monde de l’« open », que l’on limitait souvent au domaine de l’ open source, semble s’être étendu ces dernières années. Auparavant, discutée et mise en application par des communautés bien spécifiques ce sont aujourd’hui des groupes beaucoup plus variés (entreprises, institutions, gouvernements, etc.) qui s’en sont emparés. 

Depuis 2009, de plus en plus de pays s’engagent dans l’ouverture des données publiques. La France lançait il y a un an son premier portail d’open data :data.gouv.fr. De grands changements s’opèrent également dans le système éducatif avec l’avènement des MOOCs (Massive Open Online Courses). Les cours des universités les plus prestigieuses sont accessibles à tous en ligne et offrent ainsi une diffusion plus large des connaissances. En science, le mouvement de l’Open Access rallie de plus en plus de chercheurs à sa cause. A l’heure d’une société de la connaissance mais aussi du sacre de l’amateur, selon Patrice Flichy , d’autres modes d’organisation et de traitement des données émergent. La société joue un rôle plus actif, le crowdsourcing permet à chacun de participer à l’analyse des contenus ou bien de donner son avis. Le crowdfunding, quant à lui, offre la possibilité à chacun de développer et de soutenir des projets sans avoir à passer par des instances classiques. Nous sommes passés d’une organisation verticale et hiérarchisée à un fonctionnement plus horizontal et fluide, qui se développe sous la forme d’un réseau hétérogène.

Ces changements modifient-ils le champ de la recherche d’égale manière ? Les pratiques des chercheurs évoluent avec le web 2.0 ; la collaboration et le partage deviennent plus naturels sur les réseaux sociaux. Ce changement des mentalités est certainement le premier signe d’un impact plus visible dans les institutions. En attendant des transformations plus globales, le projet Protei, mené par César Harada, et son équipe Open H20, offre une vision inspirante de nouveaux modes d’organisation et de gestion des projets de recherche.

Protei et Open H20 : Profit et Non profit pour créer un drone innovant à fort impact environnemental

Protei est un projet de commercialisation d’un drone (petit navire autonome) en open hardware. La spécificité de Protei repose sur l’ouverture et la transparence totale du processus de fabrication du drone : des pièces choisies et fournies par un vendeur jusqu’à la maquette du prototype, toutes les informations sont disponibles lorsqu‘une version du drone est commercialisée. Le mode open hardware utilisé par Protei offre donc une nouvelle approche de la production des objets.

Derrière ce projet se trouve une équipe de recherche, Open H2O. Le coordinateur et fondateur de Protei, César Harada, est à la fois designer, chercheur, innovateur, hacker et agitateur d’idées. Il aime à rappeler que son projet a pour priorité l’impact environnemental, face à l’enjeu sociétal, le développement technologique et même le profit. Ce schéma prend le contre-pied du système commercial classique (figure). La partie recherche d’Open H20 est quant à elle à but non lucratif et les bénéfices retirés par la partie Protei sont réinvestis dans l’amélioration des versions des drones pour avoir un impact environnemental toujours plus positif. Ce modèle est bien loin du système de production commerciale classique et il est soutenu par une équipe motivée mue par un but commun.

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L’ordre de priorités d’une entreprise classique vs Protei Source : César Harada 

Open H20 : un réseau international de recherche multidisciplinaire alliant projets à long terme et à court terme
L’équipe de recherche de Protei est aujourd’hui constituée d’une dizaine de membres. Elle réunit des profils très variés : chercheurs, designers, hackers, activistes, pêcheurs, pour n’en citer qu’une partie. Elle offre la possibilité de mener des recherches transdisciplinaires mêlant professionnels et amateurs. Depuis la genèse du projet en 2010, l’équipe s’est agrandi ce qui a nécessité une division et une organisation du travail plus importante. Elle se compose aujourd’hui de 5 départements constitués de membres répartis aux quatre coins de la Terre. Chaque semaine, les coordinateurs des équipes se regroupent pour une réunion dont l’horaire a été déterminée non sans peine pour correspondre à la journée dans plus ou moins tous les fuseaux horaires impliqués. Le but de cette réunion est l’organisation au niveau administratif et la définition, de façon intelligente, des sujets de recherche à traiter pour optimiser la fabrication des drones.

Le choix des sujets de recherche repose sur deux échelles : l’importance et l’urgence déterminent la valeur de la tâche à un instant t. Chaque semaine, les différentes tâches à réaliser pour faire avancer le projet sont définies en fonction de ces deux échelles. Plus le projet est important et urgent, plus le budget alloué à cette tâche est élevé et plus les délais de réalisation sont raccourcis. Cette gestion des tâches permet à des projets à long terme et à court terme de se côtoyer. On peut ainsi financer par exemple l’étude des frottements dynamiques en physique fondamentale pour améliorer le déplacement du drone, bien que le budget alloué à ce projet soit moins élevé que celui alloué à des projets à court terme. Cette organisation offre également une transparence et une rationalité en termes de calcul du budget. Pour chaque tâche, le budget est ajusté chaque semaine en fonction de l’évolution du projet, en prenant soin de ne pas dépasser le plafond du budget total disponible.

Une stratégie de projets de recherche qui encourage l’innovation
Les différents membres se répartissent les sujets qui les intéressent. Ils sont libres de travailler à plusieurs ou seuls et procèdent dès le départ à la répartition du budget alloué au projet choisi. Cette approche offre une grande flexibilité et vise à encourager le travail collaboratif pour une réalisation plus rapide de chaque tâche. Lorsqu’une tâche est finalisée, c’est l’ensemble de l’équipe qui vote pour décider du pourcentage d’avancement de la tâche par rapport aux objectifs fixés. Si les objectifs d’une mission ne semblent pas avoir été atteints à 100%, les responsables du projet peuvent décider de s’arrêter là et de récupérer la part du budget qui leur revient, ou bien de s’accorder un délai supplémentaire pour atteindre les 100%.

Cette approche de la gestion de projets, qui consiste à recourir à un système de vote, repose sur une vision méritocratique des rétributions financières, le feedback fréquent de l’ensemble de l’équipe favorisant l’innovation incrémentale. Chaque erreur ou échec permet aussi d’avancer et de mettre en avant les ressources nécessaires à la réalisation des objectifs le plus rapidement possible.

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L’equipe Open H20 source : Cesar Harada
 
Un des inconvénients de ce système est tout de même l’absence de stabilité financière des membres de l’équipe. Cela permet cependant à chacun de choisir son propre rythme de travail, de s’investir dans des projets en collaboration avec d’autres équipes et d’améliorer le niveau d’engagement et de motivation de l’équipe. L’instabilité financière est aussi contrebalancée par l’organisation structurelle du groupe de recherche qui permet à chacun de progresser et ne pas être mis à l’écart par manque de compétence.

Une organisation structurelle particulière : un hybride entre organisation verticale et horizontale
Cesar Harada a souhaité mettre en place une organisation structurelle particulière. Ce modèle est un hybride entre la structure hiérarchique verticale classique et un schéma en réseau horizontal et auto-organisé. Open H20 s’organise sous forme de hordes reliées les unes aux autres. Le travail est ainsi décentralisé dans chaque unité, puis à nouveau centralisé lors de réunions régulières. À l’inverse des systèmes classiques entrepreneuriaux où chaque décision doit être validée à chaque étape hiérarchique, la structure d’Open H20 permet une adaptabilité et une flexibilité importantes. Ce fonctionnement décentralisé favorise également une organisation plus humaine à l’intérieur de chaque horde en prenant en compte le développement et la progression de chacun. C’est un bon compromis par rapport à une organisation en réseau totalement horizontal et auto-organisé où la motivation et l’engagement doivent être en permanence renouvelés pour que le système se maintienne.

Open H20 donne à réfléchir sur ce que pourrait être la recherche à l’heure de l’Open Science. Pour César Harada, à la base de tout modèle de production et de recherche se trouvent des valeurs clés : le partage et la transparence. Ce qui fait la force de ce modèle, c’est la variété d’acteurs travaillant ensemble. Institutions, individus, entreprises, associations, chercheurs : chacun a sa brique élémentaire à apporter pour la construction de projets innovants. « Nous avons besoin de passer des modèles fermés à ces modèles ouverts en utilisant la technologie open source. Nous avons besoin d’abandonner l’idée que les sciences sont un milieu de compétition au profit d’un monde de collaboration et remplacer nos habitudes de destruction par une culture de contribution positive… » Le monde de la recherche que nous propose César Harada avec Open H20 fait rêver, mais reste tout à fait réaliste.

Pour en savoir plus :
Le site de César Harada :http://www.cesarharada.com/
Présentation de Protei à TEDx Paris 2012 :http://www.cesarharada.com/tedxparis-2012/
Schéma explicatif du modèle de management de la recherche développé avec Open H20 :http://www.flickr.com/photos/worldworldworld/8243812858/sizes/o/
Dernière modification le dimanche, 12 octobre 2014
An@é

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