Conçu par la Fondation Daniel et Nina Carasso et l’académie de Versailles, PEGASE est un programme expérimental de généralisation des arts à l’Ecole qui vise à développer des activités artistiques dans des établissements scolaires d’un territoire donné, en collaboration avec les équipes pédagogiques et les acteurs culturels de ce territoire. Mené entre 2018 et 2023 dans 5 établissements de l’académie de Versailles, de la maternelle au lycée, PEGASE plaçait la réussite des élèves au cœur de ses ambitions, mais aussi l’engagement citoyen, la transdisciplinarité et la fluidité du vivre ensemble à l’école.
Les projets développés lors de ces 5 années devaient intégrer :
• une pratique artistique ou scientifique accompagnée par des équipes pédagogiques et des artistes ;
• la rencontre avec des oeuvres, des professionnels de l’art, de la culture et de la recherche ;
• l’acquisition de connaissances, dans le cadre des programmes d’enseignements scolaires ;
• la construction d’un jugement critique singulier ;
• une étroite collaboration entre professeurs et les professionnels de façon à articuler la démarche artistique et la démarche pédagogique en lien avec les apprentissages fondamentaux.
Une recherche-évaluation pour analyser et diffuser l’expérimentation de la généralisation de l’éducation artistique et culturelle
Expérimental et innovant, le programme PEGASE a fait l’objet d’une évaluation qui a observé le travail accompli par les élèves, les enseignants, les artistes et tous les acteurs du programme, afin d’analyser les conditions dans lesquelles un programme d’éducation artistique et culturelle peut contribuer à la réussite de tous les élèves.
Réalisée de manière indépendante par une équipe de 4 chercheurs en éducation, avec différentes spécialités et intérêts, cette recherche-évaluation s’appuie sur une méthodologie mixte qui articule des données quantitatives et qualitatives recueillies pendant 3 années.
Ils ont réalisé 227 entretiens semi-directifs en direction des enseignants (n=57), des élèves (n=109), des intervenants culturels et artistes (n=24), des professionnels des structures culturelles (n=18) et des promoteurs du programme (=19). La quasi-intégralité des PACTE (Projets Artistiques et Culturels en Territoire Éducatif) a été observée, et plus d’une quinzaine sur les 3 années ont été suivis au long court. Par ailleurs, un questionnaire a été élaboré autour des expériences scolaires, culturelles et artistiques des élèves (n=1428), répartis sur 5 établissements scolaires : 1 école primaire (n=44), 2 collèges (n=819) et 2 lycées (n=565). 3
Synthèse et préconisations
Un programme qui a trouvé son public
Malgré un contexte de pandémie COVID 19 (fermeture d’établissements scolaires, de structures culturelles, difficultés rencontrées par les intervenants), le programme PEGASE est largement parvenu à trouver sa cible.
• Près de 10 000 élèves concernés au long court • Soit environ 2 500 élèves et 60 enseignants touchés par an • 30 projets par an articulés autour d’une cinquantaine de partenaires culturels (entre intervenants et responsables de structures culturelles) • 4,46 projets par établissement en moyenne et par an dans les établissements PEGASE contre 1,65 dans les autres établissements de l’Académie, qui est pourtant déjà très dynamique sur cette question.
Ces éléments marquent une forte valeur ajoutée du programme dans sa capacité à promouvoir des actions liées à l’Éducation Artistique et Culturelle (EAC) dans les établissements bénéficiaires.
Sur la mobilisation des enseignants et des partenaires culturels
Le volume d’enseignants mobilisés est relativement continu dans 3 des 5 groupes scolaires bénéficiaires du programme. On observe en revanche 2 établissements dans lesquels ce nombre s’effondre (passant de 14 à 7 enseignants puis 3 dans un cas, et de 19 à 5 dans l’autre). On constate dès lors que les situations ne sont pas identiques en fonction des établissements.
Dans le premier cas, on observe une logique de captation du programme par un ou quelques enseignants qui ne perturbent pas le volume général de l’action, on peut parler d’une surspécialisation autour du programme. Tandis que dans le second cas la réduction du nombre d’enseignants impliqués a une incidence décisive sur le nombre de projets qui passent ainsi de 9 à 3 projets (avec 3 non validés).
Par ailleurs, si les enseignants des disciplines artistiques sont mobilisés régulièrement, ils n’ont pas porté majoritairement les actions du programme, notamment parce qu’ils sont relativement peu nombreux. En revanche, on note une différence de mobilisation tout à fait significative entre les enseignants de Lettres et de Sciences et techniques, les premiers étant 3 à 4 fois plus nombreux à être impliqués dans le programme (44% contre 15%).
Ces résultats interrogent les modalités de diffusion et d’appropriation du programme, et nécessitent sans doute un certain volontarisme si l’on veut éviter les risques de structuration de l’action autour de niches disciplinaires.
Préconisation 1 : Accompagner les logiques collectives
Il semble indispensable de consacrer une part de l’accompagnement aux logiques collectives d’équipe qui peuvent s’organiser autour du programme, voire au conditionnement de leur renouvèlement. Il est nécessaire d’être prudent sur les risques de spécialisation d’un petit groupe d’acteurs voire de quelques-uns seulement dans la promotion du programme. Si leur mobilisation est précieuse, elle ne doit pas empêcher celle d’autres professionnels et il semble indispensable de créer les conditions nécessaires au renouvèlement au moins partiel des enseignants participants, y compris pour tendre à une plus large transversalité des effets structurants du programme sur les dynamiques collectives au sein des établissements.
Un programme porteur de sens pour les acteurs mobilisés
Les enseignants mobilisés dans le programme identifient des gains professionnels à leur investissement (acquisition de compétences transversales, évolution des pratiques pédagogiques, ouverture aux logiques de travail intercatégoriel, etc.).
Cette valorisation professionnelle et personnelle, accompagnée de la croyance dans les bienfaits de l’EAC sur les élèves, compense en partie les désagréments liés au fort investissement : elles permettent ainsi de « tenir » dans les moments d’épuisement.
Il ne faut donc pas négliger les bénéfices perçus par les acteurs locaux vis-à-vis du programme PEGASE. Sa particularité, son périmètre comme les modalités d’accompagnement partagées entre la Fondation et le Rectorat sont des atouts décisifs dans l’implication au long court des enseignants déjà engagés à son lancement.
Préconisation 2 : Face à l’usure, renforcer un accompagnement formalisé
Si les équipes se déploient et que de nombreux projets fonctionnent, ce succès repose sans doute sur des vocations personnelles qui ne formalisent pas suffisamment les registres de professionnalité nécessaires pour les dépasser. En d’autres termes, nous identifions chez les enseignants mobilisés des signes d’usure qui témoignent de la nécessité d’un accompagnement plus formalisé, à l’égard des référentes culture en particulier. L’idée de binômes de « référents Culture » semble être une piste intéressante, tandis que les regroupements organisés (sur des formes non hiérarchiques d’échanges) entre référents sont toujours perçus très favorablement, y compris pour organiser des modèles de régulations des actions engagées.
Un programme porté par des femmes
Au sein des établissements scolaires, le programme repose en grande partie sur l’investissement des référentes Culture, tandis que les chefs d’établissements sont les garants d’un bon fonctionnement d’ensemble. Exclusivement féminines, ces chevilles ouvrières de la mise en oeuvre du programme s’attèlent à de nombreuses tâches, administratives, gestionnaires, organisationnelles et pédagogiques, avec lesquelles elles étaient plus ou moins familières avant leur engagement au sein du programme.
D’ailleurs, l’enquête fait la démonstration de la forte charge de travail éprouvée par les référentes et les enseignants mobilisés dans le programme, qui fait courir le risque de leur épuisement.
Les recherches autour des questions de genre montrent bien à quel point la féminisation de certaines tâches est largement liée à la valeur subalterne qui leur est attribuée.
La proportion de femmes impliquées dans le programme est donc fortement en leur faveur. Mais l’exclusivité qu’elles assurent dans les missions de coordination de l’action à l’échelle des établissements signe le statut peu enviable qui est accolé à la fonction de référent.
Préconisation 3 : Mieux définir et valoriser le statut de référent Culture
Il est indispensable de mieux valoriser le statut de référent Culture, indispensable au fonctionnement du programme. Aujourd’hui, on peut considérer que les missions sont perçues essentiellement sur un registre subalterne, qui permet d’expliquer en grande partie la mobilisation exclusivement féminine autour du dispositif. Si ce n’était pas le cas, nul doute que la proportion d’hommes impliqués serait nettement plus élevée. Le prestige reconnu à l’EAC ne suffit pas à inverser les marqueurs symboliques de reconnaissance des fonctions de coordination autour du programme. Cette situation appelle sans doute à mieux définir et mieux valoriser cette fonction de référent pour qu’elle devienne plus attractive.
Préconisation 4 : Mobiliser la formation initiale et continue
Les fondements du programme sont sans doute trop facilement perçus comme évidents par ses promoteurs, là où les ressorts collectifs, les logiques partenariales, les pratiques et les savoirs formels et informels qu’il encourage sont loin d’être lisibles pour l’ensemble du corps enseignant. Le programme gagnerait donc sans doute à faire sens pour ce qu’il est : un outil de développement de l’action locale, pouvant être intégré selon des registres différents à des conceptions pédagogiques qui sont loin d’être unifiées à l’école. Ces enjeux traversent la question de la formation initiale et continue des enseignants. Les ressources en la matière sur l’Académie doivent continuer d’être mobilisées, en s’adaptant à l’hétérogénéité des expériences et des parcours des professionnels engagés.
Un programme porté par des enseignants chevronnés
On constate une surreprésentation des enseignants les plus âgés chez ceux qui sont investis d’une manière ou d’une autre dans le programme. Cet aspect est loin d’être anecdotique, y compris au regard des ambitions de généralisation que porte le dispositif. D’après nos relevés, on peut considérer que les 3/4 des enseignants investis dans le PEGASE ont plus de 40 ans, et que les 3/4 encore ont plus de 5 ans d’ancienneté dans l’établissement.
Dans une perspective de généralisation, le risque est fort que les établissements de l’éducation prioritaire qui concentrent les enseignants les plus jeunes, soient moins mobilisés que les autres.
La question de l’accompagnement des plus jeunes enseignants se pose donc à double titre : d’abord, elle est une condition pour assurer une meilleure équité dans la diffusion des pratiques liées à l’EAC à tous les élèves, et pas seulement dans les établissements plus favorisés où les professeurs les plus chevronnés sont les plus nombreux. Ensuite, parce que l’accès à des pratiques de projet en lien avec l’EAC est un outil de développement professionnel dont on peut considérer qu’il sera d’autant mieux intégré qu’il sera mobilisé rapidement dans la carrière.
Préconisation 5 : Créer des binômes d’enseignants
Les jeunes enseignants doivent être mieux associés au programme. L’idée d’un binôme de porteurs de PACTE associant un enseignant de moins de 5 ans d’ancienneté et un autre plus chevronné est sans doute à creuser. Il pourrait s’agir finalement d’encourager une forme paritaire pour ces enseignants : un homme et une femme, un jeune enseignant et un plus âgé.
Un réseau de partenaires variés et renouvelés
L’une des forces du programme a été sa capacité à mobiliser des partenaires variés et nombreux sur l’ensemble des territoires concernés. On insistera sur la variété des thématiques adressées, mais aussi sur celles des structures culturelles impliquées.
Si un large spectre de partenaires a d’abord été mobilisé, on constate un resserrement dans le temps sur un nombre plus faible de structures, mais avec des relations qui semblent plus solides. Plus précisément, les services du Rectorat peuvent être perçus comme force de proposition pour définir un ou deux partenaires culturels incontournables qui servent de socle au développement des actions sur le territoire ; d’autres partenaires s’ajoutent en fonction des thématiques et des ressources locales. À noter par ailleurs que le programme a su se préserver des « effets de niche », c’est-à-dire d’une focalisation sur quelques partenaires.
C’est là sans doute une force non négligeable de la dynamique qui a été enclenchée : le dispositif et son encadrement permettent de développer une véritable stratégie de diversification des partenaires, évitant du même coup des effets de concentration sur certaines thématiques ou spécialités. Cet enjeu est fondamental pour ne pas céder à une tentation d’unification du propos ou des pratiques qui, si elle peut être consensuelle, dénature la démarche fondamentale du pouvoir émancipateur de l’art et de la culture.
Ce marqueur distingue le programme d’autres dispositifs qui, par des effets de routines, favorisent une forme d’homogénéisation de l’EAC. Ce n’est pas le cas de PEGASE qui a su se fondre dans une logique singulière de mobilisation des ressources locales.
Préconisation 6 : Diversifier les partenaires culturels locaux
La démarche de diversification et d’ajustement des partenaires culturels est cohérente avec une ambition de généralisation de l’EAC. L’équilibre entre le renouvèlement de certains partenariats et le développement de nouvelles alliances liées aux ressources locales est une condition du déploiement du programme.
Les stratégies d’alliances et le modèle de mise en relation des artistes, des intervenants et des équipes éducatives sont très majoritairement favorables, et on peut sans doute y voir la marque d’un « savoir-faire » académique historique qu’il ne faut pas minimiser.
Il y a là sans doute un motif supplémentaire pour promouvoir un modèle qui affirme le caractère central de l’école dans le processus, tout en permettant à des professionnels non scolaires de se mobiliser pleinement dans un rapport de confiance assez rare pour être souligné. Pour autant, on note un flou concernant le rôle de la structure culturelle partenaire aux différents stades du projet. Il mériterait d’être clarifié pour tous les professionnels : les structures culturelles, les intervenants ou les artistes ne sont en effet pas également dotés sur les conditions du travail de l’EAC en milieu scolaire et ses singularités.
Préconisation 7 : Favoriser des espaces partagés d’élaboration des actions culturelles en milieu scolaire
Si la logique d’alliance qui s’organise autour de l’école semble favorable à l’implantation du programme, il est sans doute souhaitable de veiller à ce que les structures partenaires et les intervenants artistiques et culturels soient moins isolés les uns des autres. Ils apparaissent très inégalement dotés pour travailler d’un point de vue réflexif sur les modalités de l’action culturelle et artistique en milieu scolaire. Cette logique d’alliance doit trouver des espaces partagés d’élaboration.
Un dispositif parmi d’autres ?
PEGASE s’insère dans une logique caractéristique de « dispositifs » dans le champ de l’action éducative, mais il est loin d’être la seule organisation de ce type dans les établissements mobilisés.
Même s’il faut souligner les moyens financiers déployés et la forte valorisation par l’institution des actions engagées, force est de constater qu’à l’échelle des établissements et des écoles, et en dehors du périmètre des enseignants qui sont le plus fortement investis, il apparait malgré tout comme un dispositif parmi d’autres.
La démultiplication des dispositifs fait courir le risque d’un morcèlement de l’action éducative, voire de son archipélisation (Fourquet & Manternach, 2019): la prolifération des thématiques prises en charge et des sollicitations pour les enseignants et les acteurs scolaires peut aboutir à une forme de spécialisation de chacun sur une thématique particulière, dont le sens semble souvent peu lisible à l’échelle d’un projet global au sein des établissements.
Préconisation 8 : Labelliser les établissements dans lesquels l’EAC est structurante
Le projet PEGASE ne peut pas être un dispositif parmi d’autres si l’enjeu de son développement est celui d’une mobilisation collective de l’ensemble de l’équipe éducative en direction de tous les élèves de l’établissement. Aujourd’hui, la démultiplication de la forme du dispositif alimente la dilution des actions et des forces engagées. La labellisation d’écoles pour lesquels l’EAC devient structurante pour le projet d’établissement est sans doute une piste à envisager.
Un programme incident sur les pratiques artistiques et culturelles en dehors des établissements
Globalement, les activités pratiquées dans le cadre de PEGASE semblent renforcer la fréquentation ou la pratique de ces mêmes activités dans d’autres cadres à l’extérieur de l’établissement scolaire. Ainsi, les enfants ayant participé à des projets avec des intervenants en théâtre, en danse ou en arts plastiques par exemple, semblent pratiquer un peu plus que les autres ces mêmes activités par ailleurs.
Il semble bien que la pratique des activités artistiques et culturelles dans PEGASE renforce la fréquentation de structures et les pratiques culturelles hors de l’école, même si ce ratio reste mesuré.
Le programme ne suffit pas à transformer radicalement les pratiques culturelles des enfants et des jeunes, mais il est sans doute décisif pour un nombre significatif d’entre eux pour assoir ou renforcer ces mêmes pratiques.
Une expérience du programme corrélée à l’expérience scolaire
L’expérience du programme semble nettement corrélée à l’expérience plus générale des élèves en termes de climat scolaire.
À partir du calcul d’un Indice de Climat du Programme, nous considérons que
27% des élèves ont une appréciation très favorable de leur expérience des projets, 48% favorable et 25% défavorable.
Les élèves des écoles primaires adhèrent plus encore que leurs homologues du secondaire aux activités engagées.
L’expérience du programme est nettement corrélée avec l’expérience plus générale des élèves en termes de climat scolaire.
52% des élèves qui signalent une appréciation très favorable du climat scolaire ont également une appréciation très favorable du programme. Inversement, 44% des élèves qui ont une appréciation négative du climat scolaire ont également une expérience négative du programme. Cette corrélation est très significative d’un point de vue statistique, et démontre le lien entre l’appréciation du programme et l’expérience scolaire des élèves d’un point de vue plus général.
Les contenus de ces projets comme leur modalité de développement ne peuvent suffire à inverser les tendances de l’expérience scolaire : les leviers sur lesquels ils pèsent peuvent participer de l’amélioration de la situation, mais ne suffisent pas à la contrebalancer.
Ces résultats confirment l’incidence du contexte d’implantation du programme : plus le climat sera favorable, plus l’appréciation du programme par les élèves est susceptible d’être favorable.
Préconisation 9 : Un programme impactant dans un climat scolaire favorable
Le programme doit être implanté dans les établissements où le contexte est favorable en termes de climat scolaire. Il ne peut pas, à lui seul, être un moyen de résoudre des crises. En revanche, il peut être un levier significatif de mobilisation collective, à condition de ne pas être accaparé par quelques acteurs locaux.
Une typologie du rapport des élèves au programme
Nous avons identifié 5 catégories d’élèves pour qualifier les rapports différenciés entretenus avec le programme.
• 5% sont qualifiés d’artistes, en cela qu’ils sont pleinement entrés dans le programme et qu’ils s’y sont engagés bien au-delà des attendus ordinaires. Pour ces élèves, le programme semble avoir été décisif à l’expression d’une « vocation » artistique et/ou culturelle dans laquelle ils restent engagés.
• 28% sont qualifiés de convaincus : ils manifestent une forte satisfaction à l’égard du programme en s’attachant particulièrement à l’expression de son contenu et de ses modalités. En d’autres termes, ces élèves semblent adhérer au dispositif pour ce qu’il est : un programme d’enseignement des arts et de la culture. La pratique est souvent envisagée comme une continuité de l’exercice de la classe qui, si elle est engagée dans des dispositions différentes, doit également permettre de renforcer le curriculum « ordinaire ».
• 40% sont qualifiés de satisfaits : ils sont très proches des convaincus dans leur rapport au programme, mais ils sont un peu moins nombreux à manifester un degré maximum de satisfaction à l’égard du programme et semblent moins s’approprier la démarche artistique. Ils restent cependant très positifs à l’égard des bénéfices perçus du programme et de ses activités.
• 21% sont qualifiés d’affectifs : ils représentent environ 1/5 des élèves, et sont plus représentés que les autres dans le lycée professionnel. Ils ne manifestent ni opposition ni grand enthousiasme à l’égard du programme. Si les projets auxquels ils participent leur donnent plutôt satisfaction, ils s’y plient plutôt qu’ils ne les jugent indispensables. Pour ces élèves, le contenu du projet en lui-même tient moins d’importance que la dimension relationnelle qu’il permet de déployer. L’enjeu du projet comme son objet apparaissent ainsi comme très secondaires, et c’est d’abord le renforcement de la sociabilité entre pairs et les bonnes relations entretenues avec les adultes participants qui les préoccupent.
• 7% sont qualifiés de réfractaires : ils sont défiants à l’égard des projets et refusent généralement d’y participer pour des raisons variées (goûts, relations interpersonnelles, etc.). Ces élèves sont facilement identifiables dans les projets par leur comportement d’opposition, identifié aussi bien par les autres élèves que par les intervenants ou les enseignants.
Cette typologie révèle un rapport différencié des élèves au programme, qui témoigne aussi d’un degré d’appropriation de ses modalités qui ne peut pas être linéaire. Nos échantillons sont trop restreints pour tirer des considérations générales qui permettraient de conclure à une même distinction à grande échelle.
Cependant, cette typologie peut être utile à l’heure de l’affirmation d’une forte volonté de développement de l’EAC.
On peut sans doute considérer, qu’à la condition d’un encadrement collectif et d’une appropriation par le corps enseignant de cette démarche, les élèves puissent y trouver dans leur immense majorité un intérêt sincère qui se révèle par une mobilisation significative.
Des élèves insuffisamment associés à l’élaboration des projets
Le principal reproche formulé par les élèves à l’égard des activités du programme est leur faible prise sur le choix des activités comme sur le déroulement des projets. Seulement 10% des élèves ont le sentiment d’être associés à l’élaboration des projets.
Même s’il faut différencier l’expression de ce ressenti entre groupes d’élèves, ils expriment une forte envie de participer à l’élaboration des projets et souhaitent expérimenter des dynamiques artistiques co-construites de manière plus innovante. Que ce soit chez les lycéens, les collégiens ou les écoliers, les élèves expriment régulièrement le fait d’être dépossédés du projet dans son ultime phase de réalisation (en raison de contraintes techniques et organisationnelles). Leur souhait d’aller « au bout » du projet est particulièrement fort et résonne avec l’enjeu plus général d’association des élèves aux démarches engagées. 9
Préconisation 10 : Favoriser l’appropriation du programme par les élèves
La question de la participation des enfants déborde le seul cas de l’EAC, mais peu de champs disposent des moyens et d’un niveau d’expertise comparable à celui que nous avons observé. Les études sur la participation ont révélé l’éclipse du public dans les dispositifs participatifs. Ces études montrent « les impensés » caractérisant les dispositifs participatifs, ces derniers prenant des formes tantôt disciplinaires, tantôt technicistes et procédurales, aboutissant à une sous-représentation des catégories les plus démunies.
Dans cette lignée, il serait sans doute profitable aux commanditaires de cette étude de travailler délibérément à favoriser les appropriations du programme par les élèves pour ses prochaines déclinaisons. Le fait que les enfants ne soient associés à aucune des phases préparatoires liées au choix de la thématique ou de l’activité par exemple est problématique. Le risque est sérieux dans le cas contraire de s’éloigner d’une démarche favorable au développement de l’esprit critique et de l’émancipation qui est pourtant au cœur de l’histoire de l’EAC.
En d’autres termes, il nous semble indispensable de promouvoir des logiques d’appropriation favorable à un pouvoir d’agir qui ne peut se déployer qu’à la condition d’une mobilisation avec les élèves plutôt que pour eux. Cela suppose une évolution de la construction administrative et calendaire des projets.
Une adhésion au programme qui ne suffit pas à résoudre les tensions de l’école autour des enjeux d’apprentissages et d’émancipation
La forte adhésion mesurée à l’égard du programme ne suffit pas à résoudre l’épineuse question des effets de la démarche sur les apprentissages ordinaires ou l’émancipation des élèves. La tentation d’un rapport instrumental à l’activité artistique et culturelle se pose pour les élèves les plus éloignés de la culture scolaire.
Ce sont bien ceux qui sont le mieux scolairement dotés qui parviennent, comme c’est le cas pour les apprentissages ordinaires, à faire le lien entre les activités culturelles engagées au sein du programme et les bénéfices qu’elles sont susceptibles de produire sur le plan personnel ou scolaire.
Les usages pédagogiques utilisés dans le cadre du projet correspondent à ce que les travaux sur la question ont identifié comme forme ordinaire de l’EAC : pédagogies du détour, valorisation des épreuves de socialisation, découvertes d’œuvres et de répertoires patrimoniaux, initiation à l’approche esthétique et savante des œuvres, introduction à la création artistique. Mais les différents modes d’articulation de ces usages dans ces projets composites contribuent inégalement à l’appropriation par les élèves des contenus qu’ils connaissent le moins. Les intervenants, appuyés parfois par les enseignants, invitent à découvrir une appréciation savante des répertoires culturels travaillés. Ici ce seront les effets de styles qui seront mis en avant, là les ancrages historiques d’un courant plastique ou littéraire, ailleurs encore les critères esthétiques qui contextualisent une œuvre contemporaine.
Préconisation 11 : Accroître le processus d’adhésion
Nous faisons l’hypothèse que le peu d’association des élèves à la démarche d’élaboration et/ou de finalisation des activités engagées renforce la difficulté pour ceux qui sont les plus éloignés de la culture scolaire, à lier les activités engagées pour les remobiliser dans des tâches scolaires ordinaires ou sur un registre d’émancipation. Le travail d’explicitation de la démarche doit sans doute être renforcé, comme la légitimation du projet dans un cadre scolaire souvent envisagé comme saturé de contraintes et d’obligations par ailleurs. Si cet enjeu dépasse le seul cadre de l’EAC, il nous semble, en écho à quelques travaux qui le rappellent récemment, que les projets qui s’y déploient sont fortement contraints de travailler à cette explicitation, au risque de ne plus être lisibles par une partie des élèves qui constituent pourtant une cible de premier choix au regard des ambitions de généralisation du programme.
Conclusions
Quel projet « idéal » pour les enfants ?
Les méthodologies croisées proposées nous permettent de définir un « projet idéal » comme envisagé par les enfants. L’enjeu n’est pas ici de projeter cette perspective du point de vue institutionnel ou politique, mais plutôt de l’utiliser pour comprendre les ressorts susceptibles d’accroitre les processus d’adhésion au programme et aux démarches engagées autour de l’EAC en général. Trois marqueurs se détachent :
• les projets doivent être co- construits avec les élèves ;
• les projets doivent valoriser les sorties et privilégier la rencontre avec les œuvres en dehors de l’environnement scolaire ;
• les projets doivent prévoir des espaces d’interactions dynamiques et innovants privilégiant de bonnes relations entre les acteurs (élèves, enseignants et intervenants) tout en respectant le cadre scolaire.
C’est là finalement une vision de l’EAC qui, si elle est enfantine, nous semble parfaitement en phase avec les principes qu’affirme cette politique publique.
Points d’attention
Le programme PEGASE contribue sans aucun doute au développement de cette ambition de promotion de l’éducation artistique et culturelle.
Il ne suffit pas à épuiser les tensions exogènes et particulières que l’action engage, mais il est un moyen de poser les jalons de certaines conditions à l’intervention, non pas sur la base d’un « programme modèle » duplicable, mais plutôt à partir des nécessaires ajustements et considérations à porter aux dynamiques locales, aux cadres structurels de l’école, à la mobilisation singulière des acteurs du champ artistique et culturel. Dans le même sens, cette recherche- évaluation n’a pas la prétention d’épuiser le sujet des recommandations ou des analyses à propos des caractéristiques et des effets de ce programme.
Les échantillons dont nous disposons du point de vue quantitatif restent restreints pour prétendre à des conclusions généralisées. Les corpus qualitatifs bien que très significatifs ne sont pas confrontés terme à terme à d’autres espaces scolaires immédiatement comparables ; la mesure des effets de long terme comme ceux qui existent peut-être dans d’autres sphères telles que la famille par exemple est aujourd’hui inaccessible.
Défis et ambitions de la généralisation d’une EAC émancipatrice
Ce rapport se veut en revanche une contribution à l’analyse collective des besoins comme des ressources disponibles dans ce programme, et plus largement à l’idée d’une généralisation de l’EAC qui devrait profiter au plus grand nombre.
Tout au long de cette enquête, nous avons été vigilants à ne pas nous enfermer dans un rapport prescripteur aux terrains. Ce serait cédé à la facilité des positions académiques plutôt que d’affronter les tensions de l’analyse et de ses complexités. Il nous semble que le temps de la généralisation de l’EAC pose des défis fondamentaux qu’il ne faut pas négliger, au risque de dénaturer profondément son ambition.
Comme l’écrit très justement Alain Kerlan, la politique éducative des arts est désormais au pied du mur. Ou bien elle persiste à peaufiner la façade consensuelle et, en effet, elle ne peut contribuer qu’à la dissolution du pouvoir émancipateur de l’art dans un faux partage du sensible. Ou bien elle veut être fidèle à cette mission émancipatrice et elle doit opposer la multiplication des hétérotopies à la généralisation consensuelle.
Cette politique est sans doute à inventer, mais elle consiste d’abord à porter ce qui existe déjà, et à conforter ce qui ne demande qu’à être : elle a la chance que cette politique- là ait déjà commencé avant elle, comme en témoigne la multiplicité trop méconnue des expériences et des initiatives. À la politique de généralisation "par le haut", préférons une politique de diffusion des hétérotopies "par le bas". » (Kerlan, 2017, p. 24).
C’est bien à cette aspiration que la dynamique développée sur les territoires de l’académie de Versailles et la démarche du programme PEGASE nous engagent. A sa hauteur, ce rapport s’inscrit dans cette filiation d’une contribution aux réflexions qu’il reste à mener collectivement pour continuer de porter un projet de l’EAC émancipateur.
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https://reseau-pegase.org/2023/06/27/celebrer-5-ans-deducation-culturelle-et-artistique-a-lecole/
Dernière modification le lundi, 25 mars 2024