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Jean Michel Blanquer a chargé un groupe de travail d’une vingtaine de personnes de réfléchir à la manière de donner ou redonner le goût des mathématiques à tous les enfants. Ce groupe, constitué autour de Cédric Villani,  médailles Fields (équivalent du prix Nobel en mathématiques) député LRM et Charles Torossian inspecteur général de l’Education nationale comprend inspecteurs, enseignants (dont la présidente de l’association des professeurs de mathématique), hauts fonctionnaires…et réunit l’ensemble des compétences de la maternelle au lycée. Il a remis son rapport au ministre ce lundi 12 février.

Ce texte, qui se veut « lisible » par tous et pas seulement destiné aux spécialistes, présente 21 propositions organisées autour de cinq axes et assorties de recommandations annexées.

Il ne faut pas se le cacher cette réflexion a été commanditée en raison de  la faiblesse des résultats des élèves français aux évaluations internationales.

L’enquête internationale Timss (Trends in International Mathematics and Science Study) sur les mathématiques et les sciences, rendue publique mardi 29 novembre 2016, établit un constat alarmant au CM1 : « Les 4 870 élèves de l’échantillon français ont obtenu un score moyen de 488 points en mathématiques et de 487 points en sciences. C’est en deçà de la moyenne internationale (500) et européenne (525).

En mathématiques, les gagnants des pays ou économies asiatiques (Singapour, Hongkong, Corée, Taipei et Japon) devance la France de plus de 100 points, tandis que des pays voisins, avec lesquels notre école peut davantage se comparer (Allemagne, Suède, Pologne, Portugal, etc.), affichent des scores de 30 à 70 points supérieurs »*. Cela confirme le dernier classement PISA où la France occupe la 26ième place. En bref : « Les résultats nationaux et internationaux successifs mettent en évidence une fraction croissante des élèves se situant aux niveaux les plus faibles des échelles de performance. À cela s’ajoute l'incapacité de notre système à réduire les inégalités qui en résultent sur l’ensemble de la population scolaire », comme écrit dans le rapport.

A ces piètres performances, il faut ajouter la souffrance engendrée pour les élèves et les enseignants alors que la République consacre à l’enseignement des mathématiques des efforts dans la moyenne de ceux consentis par les autres  pays de l’OCDE. « C'est pourquoi la mission propose d'inscrire l'enseignement des mathématiques parmi les priorités nationales ».

Un premier objectif est de clarifier et rééquilibrer l’enseignement des mathématiques

Une phrase de Michèle Artigue citée dans le rapport résume bien l’état d’esprit qui y prévaut : « Parmi les faiblesses que je perçois à notre système comparé à d’autres, il y a la difficulté que nous avons à penser l’enseignement et l’apprentissage de façon inclusive, à savoir encourager les élèves, valoriser leurs progrès, même limités, nous adapter aux différences, leur manifester notre confiance dans leur capacité à apprendre les mathématiques, être bienveillants et exigeants à la fois ».

Cette perception pourrait sans doute être fournie par  d’autres apprentissages que celui des mathématiques et elle contient en creux nombre des propositions énoncées.

Dans ses formulations le texte remis au ministre va plus loin puisqu’il consacre un chapitre à « l’importance du plaisir », le plaisir par la fréquentation des objets mathématiques avant leur formalisation et le passage à l’abstraction, le plaisir par le jeu mais aussi : « Le plaisir d’apprendre et de faire des mathématiques passe à tout âge par une bonne compréhension des concepts. La trace écrite est une référence qui permet à l’élève de structurer sa pensée, son savoir et ses compétences. Il ne faut pas la négliger ».

Cédric Villani et Charles Torossian insistent alors sur la nécessité de "redonner leur place au cours structuré et à sa trace écrite" et à "la notion de preuve".  Cette notion de preuve est au cœur de l’activité mathématique, quel que soit le niveau et, au-delà de la théorie mathématique, comprendre ce qu’est une démarche de justification argumentée reposant sur la logique est un axe important de la formation du citoyen.

Cela conduit aux recommandations :

  • Dès le plus jeune âge mettre en œuvre un apprentissage des mathématiques fondé sur   la manipulation ; la verbalisation ; l’abstraction.
  • Rééquilibrer les séances d’enseignement de mathématiques : redonner leur place  au cours structuré et à sa trace écrite, à la notion de preuve, aux apprentissages explicites.

Et en pénétrant un peu plus dans le contenu de l’activité mathématique :

  • Développer les automatismes de calcul à tous les âges par des pratiques rituelles (répétition, calculs mental et intelligent, etc.) pour favoriser la mémorisation et libérer l’esprit des élèves en vue de la résolution de problèmes motivants.
  •  Cultiver le sens des quatre opérations dès le CP.

Des mathématiques pour tous, c’est sous ce titre que les auteurs détaillent les enjeux des apprentissages dans cette discipline. Enjeux économiques bien sûr mais aussi enjeux culturels et enjeux démocratiques. Ils y développent les besoins en mathématiques suivant les orientations choisies, d’un « bagage minimum en mathématique » à acquérir dans le parcours du collège aux « mathématiques expertes » pour préparer à l’enseignement supérieur.

Tout un chapitre est consacré à la formation initiale et continue des enseignants.

Le constat qui le sous-tend est tout aussi alarmant que les précédents : Les professeurs des écoles, proviennent à 80 % des filières littéraires « Or, le volume d’enseignement disciplinaire en mathématiques, dans les deux années de master Meef, est bien trop faible pour assurer les connaissances de base utiles au futur enseignant ».

Le rapport préconise donc la mise en place d'une licence adaptée aux futurs enseignants, une formation spécifique qui débuterait juste après le bac (et non trois ans après, comme aujourd'hui). "Nous devons multiplier par cinq le volume horaire consacré aux maths dans les formations initiales", estime Charles Torossian.

Il faut aussi davantage de formation continue pour mieux outiller des enseignants du premier degré qui se sentent démunis en raison des carences de leur formation initiale. Il est affirmé au passage la nécessité de développer le travail en équipes, la formation entre pairs, les liens indispensables avec la recherche en didactique et l’analyse des pratiques.

La formation continue des enseignants du second degré est tout aussi déficiente et des principes fondateurs sont posés :« une action de formation efficace doit prendre appui sur les travaux de la recherche sur l’enseignement des mathématiques et favoriser les allers-retours fréquents entre cette recherche et la pratique en classe. Une coopération durable entre chercheurs et praticiens est à même de faire évoluer les pratiques des enseignants de mathématiques afin d’en renforcer l’efficacité ». C’est l’occasion pour les membres de la commission d’appeler à « une montée en puissance » des IREM (instituts de recherche dans l’enseignement des mathématiques) et à la création en leur sein d’une composante de recherche sur l’enseignement de l’informatique.

La mission s’est également intéressée à l’usage du manuel et des ressources par les enseignants.

Le manuel, tout d’abord, car, comme le dit Jean Louis Durpaire dans un rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale : « même si le numérique joue un rôle de plus en plus important pour la préparation des cours, les manuels scolaires restent la première ressource pédagogique pour les enseignants ».

Or la qualité de ces supports est pour le moins inégale et s’ensuit la recommandation : « Les manuels de mathématiques feront l’objet d’un positionnement sur une échelle, par un comité scientifique, en regard de chacun des critères d’une courte liste arrêtée par ce même comité ».

Pourtant les manuels ne sauraient être seuls pour assurer l’efficacité des démarches d’apprentissage. Il est important de « développer la manipulation de matériels pédagogiques pour l'apprentissage du calcul, des opérations, des formules géométriques en 2D ou 3D, etc. (jetons, cubes emboîtables, matériel de base 10, bouliers, réglettes colorées, planches à clous avec élastiques ou géoplans, mosaïques de formes géométriques, tangrams, solides à remplir avec de l’eau ou du sable, etc.) » Et pour gommer  les travers « d’un enseignement est parfois trop conceptuel » (selon l’expression de Jean Louis Durpaire), il est rappelé que certains jeux serious ou pas contribuent à la formation mathématique des élèves.

L’utilisation pertinente des divers environnements numériques n’est pas oubliée dans la panoplie des outils à mobiliser.

« Le numérique est un élément incontournable de l’enseignement, dans un contexte d’explosion de l’offre en outils d’apprentissage permettant un enseignement plus individualisé et mieux différencié. Il permet surtout de faciliter le droit à l’expérimentation, phase première des apprentissages ». 

Les apports récents de l’intelligence artificielle et les espoirs qu’ils suscitent sont également pointés :

« Ressources numériques et applications hautement interactives sont désormais augmentées par l’intelligence artificielle, selon l’approche numérique (traitement des données d’apprentissage) ou symbolique (systèmes experts et ingénierie des connaissances). Elles ouvrent de nouvelles fonctionnalités, apportant instruments pédagogiques, didactiques et d’analyse pour l’adaptation et la personnalisation ».

Les possibilités offertes par ces nouveaux outils sont détaillées et l’enseignant utilisateur est décrit comme « augmenté » dans sa dimension pédagogique. Ce n’est pas tout : le rôle que  peut jouer le numérique dans la lutte contre les inégalités, l’échec scolaire, le décrochage ou les situations particulières (handicap, précocité...) est clairement mis en exergue.

Pour être plus complet encore sur ce sujet et en enfonçant le clou de la nécessité de formation les auteurs ajoutent : « Il faut également produire et partager des ressources dans une co-conception impliquant tous les acteurs ». (L’An@é ne saurait trouver à redire dans une telle formulation).

Dans un dernier chapitre Mathématique et société la mission se penche sur les rôles des parents et du périscolaire avec le souci de participer à la résorption des inégalités et celui d’un meilleur contact avec les familles.

Là encore les recommandations faites ne valent vraiment pas que pour les seules mathématiques. Elles englobent l’explicitation des démarches à destination des parents, la mise en ligne des ressources, la complémentarité avec les activités périscolaires qui devraient permettre un enrichissement des apprentissages en mathématique par les jeux en particulier. « Varier les points de vue, multiplier les angles de perception, relativiser et dédramatiser l’erreur, développer l’imagination, prendre le temps de chercher sont autant de démarches mises en œuvre dans le périscolaire et permettant une meilleure transmission des mathématiques ». 

Ce chapitre ouvre également une large place au numérique décrit comme un incontournable et puissant vecteur d’innovation à prendre avec précautions tout de même : « L'interaction de l'éducation nationale avec les entreprises du secteur présente des enjeux variés, d’ordre économique, pédagogique, et de sécurisation des données ». D’où la recommandation « d’expérimenter et d’ouvrir l’École aux partenariats et produits innovants numériques dans un cadre organisé ».

Même si cela est sous-jacent dans tout le texte, l’accent est à nouveau mis sur la nécessité de rompre la  corrélation entre inégalités  sociales et scolaires en mathématiques, discipline par ailleurs fortement utilisée comme outil de sélection.

La situation n’est tout simplement pas admissible et il faut redonner un sens à l’expression « égalité des chances ». Ainsi, « toutes les actions de déploiement décrites dans le présent rapport (en particulier pour ce qui concerne la formation et le périscolaire) sont mobilisées sur le sujet des inégalités ».

Les mesures fortes (voir rapport pages 9-10-11)* qui découlent de ces constats et analyses ont pour but de relier tous les niveaux stratégiques de mise en œuvre : la classe tout d’abord et l’école ou  l’établissement enfin l’encadrement et d’impliquer tous les personnels à chaque niveau qu’ils se trouvent. Il s’agit d’impulser une nouvelle politique pour l’enseignement des mathématiques, politique devant recueillir l’adhésion de tous les acteurs du système. Il s’agit en effet de donner ou redonner aux élèves le goût des mathématiques, de donner du sens à leur enseignement mais aussi de participer à la lutte contre les inégalités et à la formation des citoyens.

*http://www.education.gouv.fr/cid126423/21-mesures-pour-l-enseignement-des-mathematiques.html

Dernière modification le mardi, 13 février 2018
Puyou Jacques

Professeur agrégé de mathématiques - Secrétaire national de l’An@é