« Devenir un instant des grands. »
Dominique Auzel qui a écrit sur le cinéma choisit le genre épistolaire pour introduire la genèse des Raboteurs de parquet. La scène se déroule en 1875, dans l’appartement de Gustave Caillebotte (1848-1894). Le peintre surprend trois artisans torses nus armés de rabots et de racloirs. Son regard est captivé par un jeu de lignes.
La lumière de la fenêtre se reflète sur les corps en mouvements. Caillebote saisit le moment par un premier dessin et des esquisses.
Dans une lettre, l’artisan fait part de son émotion à la découverte du tableau : « Aucune trahison là-dedans, que du vrai, du réel et du beau ! (…) Nous, les petites gens, les ouvriers, pouvons désormais devenir un instant des grands. » Sont évoqués les conditions de travail, les outillages, la précarité des contrats de travail, les grands magasins du nouveau Paris où le travail est plus difficile que dans les appartements. L’ouvrier précise qu’il est menuisier et qu’il écrit de son lit car il est alité.
Caillebotte répond au courrier. Il souhaite être à la hauteur de cette « nature morte » plutôt inattendue : « Ce que j’ai voulu, c’est que le spectateur ne puisse voir que vous, qu’il soit avec vous dans cette pièce close, rivé au parquet. (…) Tout en lui donnant l’impression que si vous, raboteurs, leviez la tête, vous le regarderiez ! » D’autres écrits proposent des angles de vue complémentaires.
Une employée de maison de Caillebotte devenue blanchisseuse sous le pinceau d’Edgar Degas était présente au moment de la venue des raboteurs. En fait, il n’y avait qu’un ouvrier.
L’extrait du journal de Claude Monet révèle la personnalité de Caillebotte, « l’un des plus modernes d’entre nous ». On lui reconnaît son sens du cadrage proche de la photographie, son intérêt pour le Paris d’Haussmann. Monet décrit un ami généreux, mécène, grand collectionneur, amoureux d’horticulture et de botanique.
Récit-enquête sous la forme d’une partie de cartes
Caillebotte a légué à l’Etat une importante collection de tableaux impressionnistes – 77 œuvres mais l’Etat n’en a retenues que 38 – la donation est présentée au public en 1897. Monet rappelle son humilité : « Tu n’as jamais parlé d’ajouter à ce legs tes propres œuvres, car c’est toujours la renommée des autres qui t’animait – jamais la tienne. »
Son frère Martial Caillebotte était son grand ami. Tous deux ont vécu dans la propriété familiale de Yerres (Essonne) devenue musée. Il dévoile les passions méconnues du peintre comme la céramique.
Dans cette collection, chaque auteur apporte sa sensibilité et une approche inédite permettant de croiser des regards. Sophie Doudet, maître de conférences en littérature, s’est intéressée au Tricheur à l’as de carreau (vers 1635) de Georges de La Tour (1593-1652). Le prologue est un dialogue avec Henry Dougier, l’éditeur de la collection Le roman d’un chef-d’œuvre.
Sophie Doudet remonte les fils de la biographie de La Tour basée sur des indices de son existence retrouvés dans des textes notariés. Alors qu’il a été un peintre célèbre en Lorraine, le peintre n’est découvert qu’au XXe siècle.
Longtemps épargné par le malheur, La Tour subit l’incendie de son atelier en 1638 pendant la guerre de Trente Ans. Dans ce récit-enquête sous la forme d’une partie de cartes, le tableau pourrait s’animer avec ses personnages et le peintre resté en coulisses. Anne, servante et modèle, raconte le quotidien de cette « bâtisse lumineuse et bruissante de cris ».
Dans la demeure désormais vide, La Tour recherche une consolation dans la religion et réalise les Nuits. « On croit maîtriser le jeu et pouvoir remporter la mise, confie Anne. Et on se rend compte un jour que, même riche et puissant, on finit par perdre. »
Fatma Alilate
Ouvriers, artisans du beau selon Caillebotte, Dominique Auzel – Le roman d’un chef-d’œuvre, Ateliers Henry Dougier
A l’ombre de la peste et de la guerre selon George de la Tour, Sophie Doudet – Le roman d’un chef-d’œuvre, Ateliers Henry Dougier