Elles ont décuplées en puissance avec les « boîtes de soutien ». L’aide individualisée, caractéristique de la politique des cinq dernières années, habilement imposée, a conditionné une grande partie de l’opinion publique.
Le pouvoir a réalisé une belle performance : transformer un mensonge en vérité, laisser croire que ce mensonge est une bonne chose pour l’école, réussir à afficher une certaine bonne foi. L’aide individualisée a réussi à s’imposer et à faire une fantastique publicité indirecte aux « boîtes de soutien » qui prolifèrent et qui font des bénéfices énormes, permettant aux plus puissantes d’envisager une cotation en bourse.
Comment lutter et aider à la perception de la vérité ? Ce n’est pas facile alors que le mensonge est porté par d’immenses moyens de communication[1], avec des publicités remarquablement conçues et un matraquage sur les ondes et sur les murs. Ce n’est pas facile quand on fait systématiquement appel à ce « bon sens » si dangereux quand il n’est pas confronté à la pensée divergente et à l’esprit critique. Un de mes amis, inspecteur d’académie, protestait : « Mais enfin, c’est quand même l’honneur de la République d’offrir aux enfants de pauvres gratuitement, ce que les riches se paient depuis longtemps pour leurs enfants ». Bien des élus soi-disant progressistes et même des syndicats hostiles aux politiques mises en œuvre depuis 2007 sont tombés aussi « dans le panneau ».
L’aide individualisée est une escroquerie[2]. Elle n’a rien coûté ce qui n’est pas son plus gros défaut : réalisée grâce à la suppression du samedi matin, elle a permis aussi de justifier la suppression des RASED et même la suppression de la formation continue des enseignants à laquelle tente en vain de se substituer l’animation pédagogique obligatoire. En la cautionnant, bien des responsables naïfs n’avaient pas mesuré qu’ils cautionnaient l’ensemble. Prétendre remédier, rattraper, compenser, remettre à niveau, hors temps scolaire, avec des élèves dont les difficultés ne peuvent être réduites à des constats d’évaluations qui n’en sont pas[3], relève de la malhonnêteté intellectuelle. La stigmatisation douce, le surdosage d’explications magistrales et d’exercices d’application, « de la même chose » pour 4 ou 5 que pour 25 ou 30 élèves, l’alourdissement d’une journée scolaire déjà trop lourde, même pour les enfants qui ne sont pas en difficulté, sont aujourd’hui condamnés par tous les spécialistes de tous les bords jusqu’au Haut Conseil de l’Education et à l’Académie de Médecine. Cela n’empêche pas le pouvoir de persister et d’annoncer, dernière trouvaille électoraliste, la création de comités « usines à gaz » pour gérer, médecine et orthophonie à l’appui, les dispositifs d’externalisation[4]du traitement de la difficulté scolaire.
On peut s’étonner que certains groupements continuent de cautionner la manœuvre. C’est évidemment dans l’intérêt des enfants, diront-ils[5], formule magique permettant de dissimuler toutes les manipulations.
L’opération est aussi une terrible dévalorisation de l’école et des enseignants. Ils n’en ont pas toujours conscience et scient parfois, en fustigeant l’insuffisance du travail à la maison, la branche sur laquelle ils sont assis La dégradation de leur image dans les médias est bien stimulée. Si les enseignants ne parviennent pas à améliorer la réussite scolaire pendant le temps normal de classe, c’est qu’ils ne sont pas compétents et que l’on fera appel à d’autres, hors temps scolaire. C’est aussi une arme considérable pour ne pas changer l’école ou pour réduire sa place dans la société. Il n’est pas question de changer l’école, ce qui peut satisfaire certains, puisqu’elle n’est pas efficace, ajoutons lui des dispositifs qui, de plus, pourraient être privatisés.
L’école est capable d’améliorer nettement ses performances si elle est refondée : finalités, programmes, évaluation, pédagogie, structures, fonctionnement (une heure/une discipline,/un prof/une classe), formation des enseignants, etc.
Parallèlement les activités permises à tous les élèves hors temps scolaire doivent être repensées. Les parents ont mieux à faire qu’à réduire leur rôle à celui de répétiteurs. Les associations, les clubs, les mouvements, les équipements culturels et sociaux ont mieux à faire qu’à tenter de faire hors temps scolaire, avec des professionnels ou des bénévoles non enseignants, ce que des professionnels, spécialistes des apprentissages, n’ont pas réussi à faire durant le temps scolaire. La culture de la connaissance, l’appétit de savoirs, l’apprentissage de méthodes, de stratégies, l’expression sous toutes ses formes, dans des situations non scolaires, la découverte de la société de la communication, le vivre ensemble ont leur place à prendre dans le cadre de projets éducatifs globaux.
Le numérique peut être un atout dans un contexte neuf s’il ne se réduit pas à un accompagnement de l’école, mais, si, dans le cadre d’un projet éducatif de territoire, il permet d’exploiter les réseaux, de prendre en compte les savoirs extérieurs à l’école, d’ouvrir des horizons, de participer à des échanges réciproques de savoirs, de favoriser l’intergénérationnel, de mobiliser des talents et des énergies, de s’engager dans des actions caritatives ou sociales. Le champ des possibles est immense, il est encore à défricher.
L’externalisation de la difficulté scolaire est une erreur et une faute. La solution ne peut se trouver que dans un changement de l’école en profondeur, en faisant confiance aux enseignants, en changeant notre regard sur l’éducation informelle et non formelle, puissants leviers pour l’épanouissement individuel et collectif, pour l’émancipation et pour la démocratie.
Mais vous n’êtes pas obligé d’être d’accord.
[1]Si l’école pouvait bénéficier des mêmes moyens…
[2]Parmi les nombreuses preuves de ce constat, observons que l’aide individualisée est obligatoire partout, même dans les classes qui n’en ont pas besoin. Il faut trouver dans chaque classe, quelque soit le milieu, le niveau, les choix pédagogiques des enseignants, 4 ou 5 élèves que l’on pourra étiqueter comme étant plus faibles que les autres. Ceux des enseignants qui ne les trouvent pas sont poursuivis et sanctionnés, pratique autoritariste sans précédent. La distinction entre aide et propagande est ténue.
[3]Les prétendues évaluations actuelles n’en sont pas. Elles ne sont que du contrôle comme dans le temps… Evaluer, c’est mesurer la capacité de mobiliser tous ses savoirs et ses compétences pour résoudre un problème, réaliser une tâche, dans des contextes porteurs de sens. On en est loin, très loin…
[4]Malgré mes recherches obstinées, je n’ai toujours pas compris quelles étaient la formation et les compétences de certaines professions médicales et paramédicales, dans le domaine complexe des apprentissages. Quels stages, quels QCM formateurs, quelles études sur l’histoire des savoirs et de leur compréhension ?
[5]Qu’ils le prouvent !