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Denis Bertrand, Alexandre Dézé, Jean-Louis Missika sur Sciences Humaines.com établissent dans cet article un repérage des positionnements généraux des discours politiques.
Pour susciter l’adhésion de leur auditoire, les hommes politiques (femmes comprises) doivent se positionner par rapport à des valeurs partagées. La méthode du «  carré sémiotique  » permet d’en comprendre les logiques cachées. Décryptage…

Il existe différentes méthodes pour analyser les discours politiques. La lexicométrie, par exemple, procède par comptage de mots pour faire ressortir les spécificités du vocabulaire employé par les acteurs politiques. Issue de la théorie du langage, la sémiotique ambitionne plutôt de comprendre la façon dont se construit le sens des discours. Elle offre à cet égard toute une batterie d’instruments pour en dégager les logiques propres.

L’un de ses modèles de base, le «  carré sémiotique  », permet ainsi de localiser relativement un même ensemble discours en fonction des grands principes qui les structurent. Conçu par Algirdas Julien Greimas (l’un des principaux sémioticiens français) sur la base du carré logique d’Aristote, ce modèle schématique repose sur un jeu de construction entre catégories qui tout à la fois s’opposent, se contredisent et sont complémentaires. Prenons un exemple. Si l’on considère l’ordre général des conduites dans le cadre de la loi, on peut opposer comme des catégories contraires – sur l’axe commun de ce qui est prescrit – ce que l’on doit faire (l’obligatoire) à ce qu’on doit ne pas faire (l’interdit). Chacune de ces positions se définit également par leur opposition respective, selon un principe contradictoire cette fois, à ce que l’on ne doit pas obligatoirement faire (le facultatif) et à ce que l’on ne doit pas impérativement ne pas faire (le permis), ces deux positions exprimant l’univers sémantique du non-prescrit. On obtient ainsi une sorte de grille de lecture qui permet de positionner, en fonction de leur dominante, et sans en épuiser la diversité, les différents discours de prescription des attitudes (schéma n° 1).

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C’est un schéma de cet ordre que nous avons mobilisé pour dégager les grands principes différenciateurs des discours de la campagne présidentielle de 2007 (1). Dans ce type de compétition politique, les discours habituellement tenus par les acteurs politiques tendent à se brouiller, certains candidats n’hésitant pas à se placer sur le terrain de l’adversaire (ce que l’on appelle la triangulation) pour recueillir un maximum de soutiens.

Ainsi, on se souvient des discours de Nicolas Sarkozy sur la souffrance sociale ou des préconisations de Ségolène Royal concernant l’encadrement militaire des adolescents primodélinquants. De fait, le clivage gauche-droite, qui est habituellement utilisé pour établir les positions des acteurs politiques, devient dans ces conditions moins pertinent. C’est à ce titre que le carré sémiotique peut constituer un outil de cartographie intéressant.

L’illusion de l’intimité

Pour établir les positionnements des candidats, nous avons commencé par identifier les grandes catégories de valeurs qui, en amont, travaillent leurs discours. En politique, ces valeurs renvoient à des modes différenciés de rapport à la réalité.

Il y a tout d’abord la catégorie du vécu partagé qui désigne ici la réalité en tant qu’elle est subjectivement éprouvée par les personnes et présente par empathie dans le discours  : «  chacun d’entre nous  »  ; «  nous, travailleurs  »  ; «  les Français  ». Le vécu se manifeste ainsi toujours sur le mode participatif.

À cette première catégorie s’oppose (relation contraire) celle de l’utopie visée, c’est-à-dire ce au nom de quoi le vécu peut être transformé  : «  la passion de l’égalité  » (S. Royal), «  la France forte  » (N. Sarkozy), «  un autre monde  » (José Bové)…, tout ce qui peut donc, dans le discours, faire le corps de la promesse et ouvrir les perspectives d’un devenir.

Si le vécu s’oppose à l’utopie, il peut être également nié (relation contradictoire) par une troisième catégorie, celle de la fiction imaginée  : le discours procède alors à une construction fictionnelle de la réalité, jouant sur les émotions et suscitant des identifications par l’emploi d’un vocabulaire imagé, le recours à l’anecdote, l’exploitation de textes ou de genres littéraires ou encore la convocation de personnages historiques.

À cette troisième catégorie, enfin, s’oppose celle de la réalité analysée (en contradiction avec l’utopie visée), qui désigne ici non pas la réalité du monde effectif mais l’objectivation de cette réalité dans et par le discours d’analyse (sophistiqué ou non). Ainsi, obtient-on in fine un carré sémiotique des «  modes d’ancrage  » du politique reposant sur quatre catégories de valeurs (schéma n° 2).

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L’analyse positionnelle des discours s’effectue dès lors en deux temps  : tout d’abord en fonction de l’accent mis sur telle valeur (ancrage)  ; ensuite à partir des relations qui s’établissent entre elles (parcours). Il est rare en effet que le discours se fige sur une seule catégorie de valeurs. 

Il s’ancre sur un point de départ puis transite par d’autres positions. C’est précisément ce parcours qui définit les logiques spécifiques des discours des candidats et permet de les différencier.

Prenons ici un premier exemple, celui de S. Royal (schéma n° 3).




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Son discours s’ancre résolument dans le vécu partagé. L’ancienne candidate socialiste cherche tout d’abord à entretenir l’illusion d’une communication intime avec les électeurs  : «  vous m’avez dit, je vous ai entendus  »  ; «  je le veux, parce que vous le voulez  » (2).

Elle valorise ensuite sans cesse l’expérience sensible des acteurs, qu’elle travaille dans une logique de nivellement  : d’un côté, elle insiste sur ses qualités ordinaires de femme ou de mère, de l’autre, elle érige le citoyen au rang d’expert  : «  Je crois à la capacité d’expertise des citoyens (…), je suis convaincue que chacun d’entre nous est le mieux à même de connaître et d’exprimer ses problèmes, ses attentes, ses espérances (3).  » Enfin, elle défend le principe d’une campagne «  participative  »  : «  J’ai voulu que les citoyens reprennent la parole pour que je puisse porter leur voix(4).  »

Le caractère prédominant de ce procédé dans la fabrication du discours de la candidate socialiste n’est pas sans déterminer la suite de son parcours dans le carré sémiotique. Ici, la réalité analysée passe en effet par le filtre de l’utopie, qui réside dans le projet d’une «  révolution démocratique fondée sur l’intelligence collective des citoyens (5)  ».

Quand l’utopie et la fiction sont écartées

La reconnaissance du «  citoyen expert  » constitue ainsi le réquisit d’un véritable changement politique («  Moi, je considère que la politique doit changer, donc qu’elle doit aussi tenir compte de l’intelligence collective des gens (6)  »), et son intervention est conçue comme le principe structurant des orientations programmatiques de la candidate  : «  Il est absolument nécessaire de donner la parole aux citoyens sur les problèmes qui les concernent. Parce que c’est comme cela que, non seulement, nous parlerons juste, mais c’est comme cela aussi que nous agirons juste (7).  »

Prenons un deuxième exemple, celui de N. Sarkozy (schéma n° 4).

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Le discours de campagne du candidat de l’UMP trouve son ancrage à la fois dans le vécu partagé et dans la réalité analysée, sur le mode d’incessants allers-retours entre ces deux pôles.

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Dernière modification le lundi, 08 décembre 2014
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