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Il y eut un soir. Il y eut un matin et ce fut… Je m’égare, pardon. Il y eut surtout un après-midi en plein confinement, voire plusieurs après-midi et surtout plusieurs VENDREDI après-midi. La précision a son importance. Résumons-nous : le vendredi après-midi (oui, le vendredi après-midi…) à 13h, heure de la digestion (oui, à l’heure de la digestion…) pendant 3h (oui, 3h non-stop…). Cela commençait bien. Et pourtant cela ne s’est pas si mal passé.

Il s’agissait d’un remplacement pour un cours consacré à la sociologie de la culture. Je me suis vite enquis des modalités et les collègues m’ont répondu que celle que je devais remplacer faisait essentiellement du commentaire de texte. Si cela peut se concevoir aisément en classe, je me voyais beaucoup moins travailler de cette manière à distance. Qui plus est un vendredi après-midi à l’heure de la digestion pendant 3h… Oui, je me répète.

Le temps a passé depuis et j’avoue n’avoir jamais pensé à communiquer sur ce point. Je suis tombé récemment sur un article évoquant un peu le même sujet et, en y réfléchissant de plus près, j’ai réalisé que cette expérience m’avait appris pas mal d’éléments. À l’heure où la visioconférence s’est largement démocratisée, assurer ce cours (et d’autres par la suite) m’ont fait réviser ma méthode d’enseignement global. Tout n’est pas encore revu et corrigé mais les choses évoluent.

Pourquoi Discord ?

Je suis bien conscient que l’on va m’objecter l’argument « RGPD » vis-à-vis de l’utilisation de Discord. Certes l’outil est déconseillé mais je l’ai choisi pour plusieurs raisons. Primo, je préférais rejoindre les étudiant.e.s plutôt que de leur demander de venir chez moi, c’est-à-dire leur imposer un outil supplémentaire. Nombreux étaient celles et ceux qui possédaient un compte Discord pour les jeux vidéo. De plus, il existait un serveur Discord de classe. J’ai donc créé un compte puis mon propre serveur dédié à la formation. Il ne me restait plus qu’à les inviter.

Secundo, Discord possédait un certain nombre de fonctions que je recherchais, comme la possibilité de mixer échanges vocaux / vidéo, présentations / partages d’écran et surtout la particularité de permettre la création d’espaces cloisonnés parfaits pour les travaux de groupe. Tertio et non le moindre, Discord est stable. Je savais que mes étudiant.e.s et moi-même allions rencontrer très peu de soucis de connexion et de diffusion. Pour avoir testé un grand nombre d’outils dédiés à l’échange à distance, c’est celui qui m’avait paru le plus stable. J’avais eu sous la main une solution certes 100% compatible RGPD mais j’avais fini par jeter l’éponge lors de la tenue d’un événement à distance tant les problèmes techniques rendaient toute action impossible (webcam non supportée alors qu’elle l’était 30 minutes plus tôt, son qui se coupe régulièrement, menus qui disparaissent, plugins désactivés sans aucune action de ma part…).

Bref, pourquoi Discord ? Parce que c’était lui, parce que c’était moi. Mais d’autres questions se posaient.

Micro ouvert ou fermé ?

La tradition en visioconférence veut que l’on ferme les micros pour ne laisser que celui de l’intervenant principal ouvert. La raison majeure : éviter les nuisances sonores. Histoire d’aller à contre-courant comme d’habitude, j’ai laissé les étudiants faire ce qu’ils voulaient.

D’une part, il me paraît un peu pompeux d’indiquer dès le départ que seule ma parole a de la valeur. Lors d’autres visios, j’ai toujours mal vécu ce moment où l’orateur / oratrice impose le silence en demandant que tous les micros soient fermés.

D’autre part, fermer les micros revient à jeter l’expérience de classe à la corbeille. En présentiel, pas moyen de couper les cliquetis du clavier ou de la souris, les éternuements, les bavardages ou rires. Et c’est tellement plus agréable ainsi ! Je pense que, si l’on n’est pas capable en visioconférence de supporter un fond sonore, on n’est pas capable non plus de gérer l’expérience de classe.

Nuisances sonores ? Oui, cela arrive mais tout au long des cours que j’ai pu animer à distance, je n’ai connu que deux cas où j’ai du demander de baisser le volume ou de se concentrer un peu plus sur le cours. En cause ? Une musique de jeu vidéo que j’ai rapidement reconnue (Sonic the Hedgehog pour ne pas le nommer) et le copain d’une étudiante un peu trop pressant et vraisemblablement pas au fait du micro ouvert. ;-)

Pédagogie ?

Comment s’organiser avec 3h de présentation et de travail à distance ?

C’est, je l’avoue, ce qui m’a le plus taraudé. L’objectif principal était bien évidemment de ne pas s’attarder trop longtemps sur une forme classique de cours. J’ose espérer que ma voix est agréable à entendre et mon propos délectable (sans fausse modestie… ;-) ) mais, en début d’après-midi, qui plus est un vendredi, j’avais plus de chances d’en endormir une paire.

Le schéma fut donc le suivant :

  • 30 à 45 minutes de cours classique introductif en fonction du sujet, sachant que les notes étaient accessibles ensuite en ligne, permettant ainsi aux étudiant.e.s d’être totalement à l’écoute,
  • un temps d’expérimentation lorsque le sujet le permettait (et il le permettait systématiquement) : visite de sites web, utilisation d’outils numériques, parties de jeu vidéo…
  • un temps de réflexion personnelle d’une vingtaine de minutes sur le sujet avec un petit exercice d’écriture permettant une formalisation,
  • un temps d’échange de 20 à 30 minutes sur le sujet suite au travail de réflexion,
  • enfin, le reste du cours était consacré à un travail de groupe, plusieurs salons dédiés ayant été créés à cet effet afin que les étudiants puissent échanger tranquillementDurant ce dernier temps, je passais d’un espace à l’autre en tant que simple observateur, me permettant simplement d’apporter parfois des précisions quant au travail à élaborer ou des informations sur le sujet. Le compte-rendu de chaque groupe se faisait à la toute fin en quelques minutes dans un autre salon sobrement intitulé « Bureau du patron ». :-)

De quoi parle-t-on ?

Culture, culture… La formation concernée étant destinée à former de futur.e.s bibliothécaires, pourquoi ne pas s’intéresser aux (plus très) nouvelles cultures qui imprègnent et intégrent le contenu et les activités des bibliothèques et médiathèques ?

En effet, l’objectif principal du cours visait à savoir d’une part se situer dans l’environnement politique, économique, social, culturel, d’autre part à identifier et contribuer aux missions culturelles et sociales des bibliothèques et centres d’information. Le cours comprenait également une partie plus technique consacrée aux méthodes sociologiques (techniques d’enquête par exemple) qui transparaissaient plus au travers des travaux de réflexion et d’enquête demandés.

Chaque séance a pu ainsi aborder des aspects différents du sujet au travers de questions variées, par exemple (en vrac) :

  • Que sont la culture et sa sociologie ?
  • Peut-on se sentir éloigné.e de, voire rejeter la culture ?
  • Histoire et démocratisation du livre (me permettant de découler sur les sujets suivants)
  • Qu’est-ce qu’être geek ?
  • Qu’est-ce qu’une norme ? Comment naît-elle ? Et pourquoi s’y conforme-t-on ?
  • Histoire et démocratisation des jeux vidéos et de la culture japonaise
  • Inclusion des femmes dans les jeux vidéos en tant que personnages, joueuses mais aussi développeuses (ce sujet nous réservant de nombreuses surprises grâce à des créatrices de jeux vidéo de renom et d’autres moins connues mais ayant apporté leur contribution à des jeux mythiques)
  • Mais aussi vu le contexte, place et rôle de la culture vis-à-vis de la pandémie…

Des spécialistes tiqueront peut-être sur le coté fourre-tout du contenu mais, spécialiste je ne l’étais pas car historien avant tout et non sociologue, mon objectif restant en cette période difficile de garder les étudiants mobilisés durant ces cours et leur apprentissage au quotidien.

Ces sujets variés ont permis de développer diverses expériences en ligne afin de dynamiser le cours. Peut-on parler du premier jeu vidéo, décrire le premier personnage féminin dans un jeu vidéo sans « obliger » le public à les expérimenter via un émulateur en ligne ? Peut-on parler d’un musée sans pousser la porte de sa visite virtuelle ? Peut-on évoquer un ouvrage ancien, manuscrit ou incunable, sans le « toucher » du regard alors qu’il est consultable en ligne ? Tant de ressources magiques m’ont permis d’égayer le cours et de le rendre un peu plus vivant et ludique.

Retour au présentiel

Toutes les « bonnes » choses ont une fin et cette expérience n’a vécu que le temps d’un confinement, nous retrouvant en classe masqués mais heureux. Il était temps cette fois de capitaliser sur les connaissances acquises durant nos séances mais surtout sur le travail de réflexion mené personnellement et en groupe au travers cette fois de séance de co-création, les 2-3 cours qui nous restaient étant transformés en mini-hackathons destinés à imaginer et produire des prototypes de dispositifs de médiation utilisables en médiathèque.

Deux jeux de société, une maquette interactive, un escape game… Voici ce que les étudiant.e.s avaient produit à la fin de l’année, permettant ainsi de concrétiser nos échanges.

 

Conclusion

Si j’appliquais déjà en partie cette organisation de cours en présentiel, cela n’a fait que renforcer mon envie de poursuivre ces expériences en classe. Garder un contenu solide mais non sans ludifier, sans provoquer l’expérience et intégrer des éléments permettant de dynamiser. Ainsi les échanges en groupes étaient régis par un ensemble de règles tirant leur essence d’une sorte de jeu de rôle inventé pour l’occasion.

Je ne dirai pas que je croise les doigts pour n’avoir plus jamais à refaire cours sur Discord. Je me me suis pris au jeu et le retour des étudiant.e.s a été positif malgré la contrainte. Mais jamais, ô grand jamais, dans ce triste contexte…

Dernière modification le mercredi, 28 septembre 2022
Cauche Jean-François

Docteur en Histoire Médiévale et Sciences de l’Information. Consultant-formateur-animateur en usages innovants. Membre du Conseil d'Administration de l'An@é.