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Par Richard-Emmanuel Eastes sur Theconversation.

Dans une société de la connaissance, siège de rapides et permanentes mutations économiques et technologiques, l’université doit, comme l’école, s’inventer de nouvelles approches pédagogiques. Non seulement sous la forme d’organisations institutionnelles et de techniques d’enseignement repensées, mais également en envisageant de nouveaux rapports aux étudiants qui, avant d’acquérir les savoirs académiques qui leurs sont proposés, cherchent en premier lieu à donner du sens à leurs efforts pour apprendre.

À tous les niveaux de formation, et ce depuis des générations, les professeurs¹ observent que le monde change et considèrent que leurs élèves et étudiants sont différents de ce qu’ils étaient eux-mêmes à leur âge. Pourtant, hormis dans les pays anglo-saxons et scandinaves, les structures d’enseignement des universités et des hautes écoles professionnelles n’évoluent que lentement ou à la marge, dans le cadre de modèles bien établis et reproduits par des générations d’étudiants devenues de nouvelles générations de professeurs.

Au tournant de ce nouveau siècle, on peut dès lors s’autoriser à penser que les évolutions que l’on observe (et celles que l’on peut prévoir) au niveau de l’organisation du monde et de la société, mais aussi au niveau du rapport au savoir et à l’autorité, sont susceptibles d’engendrer des chocs intergénérationnels d’un nouvel ordre et, par suite, de nécessiter des transformations sans précédent des systèmes de formation.

Ces évolutions s’effectuent notamment sous l’influence de ce que l’on nomme depuis quelques décennies les « (nouveaux) usages du numérique » qui, au-delà des outils propices au renouvellement des pratiques pédagogiques qu’ils fournissent, transforment à ce point les comportements, les relations au savoir, à l’autre ou encore au temps que les longs cours magistraux d’amphithéâtre ressemblent de plus en plus à des pratiques d’un autre âge.

Faut-il faire table rase du passé et tout réinventer ? Bien évidemment, non. Les cours magistraux ont encore et toujours cette propriété de transmettre à un maximum d’étudiants de niveau homogène un maximum d’informations en un minimum de temps. Des étudiants dont on devrait pouvoir penser, puisqu’ils en sont arrivés là, qu’ils sauront rechercher dans leurs ouvrages ou auprès de leurs camarades les remèdes aux problèmes de compréhension qu’ils rencontrent dans l’amphithéâtre.

C’est probablement la raison pour laquelle, dans les pays occidentaux les plus proches de nous au moins, le niveau universitaire est celui qui évolue le moins dans ses pratiques pédagogiques. D’autant plus que par essence, un professeur d’université est un « ancien bon étudiant » : un étudiant parfaitement adapté aux cours magistraux qu’il n’a de cesse de reproduire dans ses propres cours puisque ce sont par eux qu’il a réussi. Or comme le rappelle Denis Berthiaume, « l’enseignant universitaire n’est représentatif que de 1 % de sa classe puisque très peu d’étudiants suivront une carrière académique ».

La décentration pédagogique

Certes la passion que nourrit l’enseignant pour sa discipline contribue-t-elle à l’impact de son discours et à l’intérêt qu’il est susceptible de déclencher auprès de ses étudiants, comme l’illustre bien le personnage de John Keating joué par Robin Williams dans le célèbre film Le cercle des poètes disparus (1989). Mais paradoxalement et non sans un brin de provocation, nous nous risquons également à suggérer que le principal défaut pédagogique auquel est confronté l’enseignant universitaire, outre le fait d’être un ancien bon élève, soit justement celui de chérir sa discipline.

Quel bonheur, en tant que professeur, de pouvoir ainsi remodeler nos connaissances selon la manière dont nous les appréhendons le mieux, d’y introduire quelques exemples, quelques métaphores toutes personnelles, de les offrir alors en partage à ces jeunes générations dont, par suite, il est évident que s’ils ne les comprennent pas, c’est au mieux qu’ils sont ingrats et j’menfoutistes, au pire qu’ils sont stupides !

Or le bon enseignant aime ses étudiants autant qu’il aime sa discipline ; même les moins inspirés, les moins participatifs, les moins accessibles… Et peut-être même surtout ceux-là ! Plutôt que d’être centré sur soi, sur le plaisir de délivrer un message, de se mettre en scène, il est centré sur l’autre, sur la manière dont il comprend et sur les raisons pour lesquelles il ne comprend pas. Cela suppose d’admettre que le plaisir d’enseigner de l’un ne se conjugue pas nécessairement avec le plaisir d’apprendre de l’autre, et que le juste milieu consiste à centrer l’enseignement non sur la connaissance à transmettre, non sur le plaisir de l’étudiant, mais sur la qualité de ses apprentissages.

Pour caractériser ce changement de rôle, les Anglo-saxons ont inventé l’expression « A guide on the side rather than a sage on the stage » (« un guide à vos côtés plutôt qu’un savant sur l’estrade »). Car si l’on y réfléchit bien, le véritable métier de l’enseignant est moins d’enseigner que de permettre à ses élèves d’apprendre ! Cela suppose qu’il se donne les moyens de les connaître (eux-mêmes, mais également leurs savoirs préexistants, leurs motivations, leurs difficultés) pour s’y adapter et, sur cette base, pour les amener aussi loin que possible… même si ce n’est pas aussi loin qu’il le souhaiterait.

Ego contre pédagogie

À l’inverse, accorder davantage d’intérêt à sa discipline qu’à ses étudiants, c’est d’emblée tracer une ligne rouge entre ceux qui méritent l’attention et ceux qui n’en valent pas la peine ; entre ceux que l’on espère recruter dans son laboratoire et ceux dont on préférerait presque qu’ils n’assistent pas au prochain cours. Voire ne faire cours que pour ceux qui nous ressemblent.

Un collègue me rapportait récemment cette conversation entre deux professeurs :

« J’ai vraiment beaucoup de mal à intéresser mes étudiants et à éviter qu’ils ne sèchent mes cours. »
« Ah moi, j’ai résolu le problème : je ne donne pas de poly, j’écris tout à la craie et mes examens portent sur des questions de cours. Ils sont obligés de venir.… »

Est-ce là une pédagogie digne de la mission de l’université ? Les cours d’amphi ne sont pas des occasions de se valoriser en paradant devant des centaines de paires d’yeux contraints de vous regarder sous peine d’échouer aux examens. Le véritable objectif, coûte que coûte, c’est de faire en sorte qu’après avoir passé toutes ces heures en face d’un professeur, les étudiants soient tous « augmentés », c’est-à-dire « un peu plus » qu’avant de ne l’avoir entendu prononcer le premier mot de son premier cours. Cela ne dépend certes pas que de lui. Mais considérer que cela ne dépend que d’eux n’est probablement pas non plus le meilleur des points de départ…

Des étudiants exigeants

Aucune surprise, dès lors, à ce que de plus en plus d’études et d’enquêtes montrent l’insatisfaction des étudiants face à des modalités d’apprentissage trop monolithiques : au travers des évaluations des cours qui leurs sont dispensés, de l’analyse de leur taux d’absentéisme, de leurs témoignages… et même si eux aussi savent parfois se montrer conservateurs face à l’évolution des approches pédagogiques.

Le Monde du 23 décembre 2015 relate par exemple l’enquête réalisée par le Louvain Learning Lab, groupe de réflexion belge intégré à l’Université catholique de Louvain, pionnier en Europe en matière de pédagogie universitaire. Pour fêter ses 20 ans, et en parvenant habilement à éviter le piège de la démagogie, il a invité étudiants, enseignants et personnels administratifs à imaginer l’université en 2035 et à déposer des propositions sur le site 2035idees.

Parmi les propositions relatées dans l’article, nombreuses sont celles qui portent sur l’organisation de la semaine de travail, la durée des cours, l’alternance entre le cours magistral, le travail individuel et collaboratif, le lien entre réflexion académique et entrepreneuriat… D’autres encore, comme on peut s’y attendre, insistent sur l’usage de pédagogies découlant d’outils numériques nouveaux, susceptibles de transformer les pratiques en classe (usage des smartphones et pédagogies de type BYOD (bring your own device ou, en français, PAP, prenez vos appareils) ou hors la classe (usage des MOOCs et de pédagogies inversées).

Des revendications qui, on s’en doute, soulèvent encore bien d’autres questions, que nous aborderons dans notre prochaine chronique.

1. Dans toute la suite, le masculin est employé par souci de simplicité et se rapporte également au féminin.

https://theconversation.com/le-monde-change-luniversite-aussi-63551?

Chercheur associé au Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel (Suisse) - Chercheur associé au Laboratoire de didactique et d’épistémologie des sciences, Université de Genève

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Dernière modification le jeudi, 29 septembre 2016
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