J’ajoute un point d’interrogation au titre, car il est bien évident que le problème des neurosciences, au moment où l’on commence à parler de nouveaux programmes pour 2015, devrait faire l’objet de débats fondamentaux.
Les 21 enseignants ont participé à un voyage de formation au Québec et en Finlande, ont suivi pendant deux années des cours de psychologie cognitive, de psychologie clinique et de neurosciences et ont été supervisés par un enseignant chercheur. Cette équipe a travaillé pendant deux ans en groupe de recherche.
J’avoue que je suis entré dans ce livre avec beaucoup d’appréhension et de prudence. J’ai recherché de bonnes raisons d’y consacrer du temps. L’éditeur d’abord, qui est le mien, réfléchit beaucoup à ses choix et s’engage sur des lignes progressistes et humanistes. La liste des références et les notes de bas de page affichent des noms qui ne permettent pas de douter des orientations : Paolo Freire, Edgar Morin, Sylviane Giampino, Catherine Vidal, Axel Khan, Albert Jacquart, Hélène Trocmé Fabre… Quelques phrases glanées au cours d’une première lecture rapide, sont très significatives : « Les neurosciences font peur et on peut le comprendre à l’aube du développement de la connaissance du cerveau » (page 10), « Enseigner et grandir n’est possible que si l’on est animé par la foi en l’éducabilité de l’autre et de soi-même » (page 11), « Entre l’augmentation des savoirs savants et la multiplicité des moyens de diffusion, les contenus des programmes scolaires ne font plus autorité » (page 20), « Il est facile de s’opposer à cette approche en rappelant que les générations qui nous ont précédés ont appris sans aucune connaissance des mécanismes du cerveau, mais c’est faire fi de tous les travaux des grands pédagogues qui ont observé et cherché comment faciliter les apprentissages, notamment chez les élèves en difficulté. Ce n’est pas parce que nos aïeux s’éclairaient à la bougie que nous refusons l’électricité »(page22), « Nous devons cesser de regretter des élèves qui n’existent plus », etc.
On peut donc non seulement entrer dans ce livre, mais s’y plonger, si l’on ne craint pas d’être bousculé dans ses certitudes.
Non, il ne s’agit pas d’une mise en cause des pédagogues et des enseignants. Non, il ne s’agit pas d’une manœuvre pour médicaliser l’éducation. Non, il ne s’agit pas de ces neuroscientifiques qui répondent à une commande ministérielle pour justifier la décision d’imposer le b-a ba dans tous les CP de France. Un souvenir personnel me revient à l’esprit à ce propos : un inspecteur d’académie adjoint ambitieux soutenant les politiques de son ministre, de Robien, auquel je m’étais opposé, claironnant : « Mais vous êtes largué.
Les neurosciences prouvent que le b-a ba est la méthode la plus efficace, elle correspond au fonctionnement du cerveau, hémisphère, synapses, conscience phonologique, etc, etc ». J’ai toujours été surpris que des sciences neuves puissent cautionner des pratiques ancestrales périmées. Dans ce livre, il n’est donc pas question de prôner le retour ou le maintien de la bougie et de la diligence.
Il n’est pas question non plus de dessaisir les pédagogues et les enseignants de leurs missions, ni de présenter des recettes forcément miracles. « Les enseignants désespérément à la recherche de méthodes ou de recettes applicables sur le champ ne trouveront rien dans les neurosciences qui pourra les satisfaire dans l’immédiat. Ils seront peut-être même déçus. En effet, les neurosciences ne sont ni une méthode ni une recette. C’est un ensemble de disciplines qui participent à la connaissance de l’Homme, de son fonctionnement cognitif ».
Le combat contre le déterminisme et pour le développement organisé de l’intelligence est le fil conducteur du livre. On s’intéressera à la plasticité cérébrale, aux intelligences multiples (même si l’expression me gêne un peu, craignant toujours une hiérarchisation des types d’intelligence et restant attaché à la notion d’intelligence générale d’Edgar Morin), à la spirale du stress, à l’hygiène de vie cognitive, à la mémoire. On trouvera des fiches pour des activités scolaires souvent à discuter ou à adapter pour éviter l’exercice et privilégier la « mise en situation » et l’observation des démarches et procédures.
Un jour, Victor Host, grand directeur de recherche à l’INRP avec lequel je travaillais, proche d’André Giordan, me disait : « Vous me faites penser à tel pédagogue russe qui n’attachait aucune importance aux contenus des programmes mais privilégiait systématiquement la construction des outils mentaux – pour reprendre l’expression de Philippe Meirieu – et les compétences transversales » et il me mettait en garde sur le fait que le cerveau ne fonctionne pas à vide. J’ai retenu la leçon tout en étant toujours choqué que le développement de l’intelligence, en lien avec la métacognition et la maîtrise du langage, ne figure pas dans les programmes.
Les transmetteurs de contenus segmentés et simplifiés considèrent sans doute que l’intelligence est un sous-produit des apprentissages scolaires et n’a pas besoin d’une réflexion et d’un traitement particuliers. Quelle erreur ! Mais à quoi sert l’école aujourd’hui si elle ne se fixe pas comme ambition de développer l’intelligence et si elle refuse de prendre en considération les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur d’Edgar Morin ?
Espérons que les savants (pratiquement tous des disciplinaires) chargés de rédiger les futurs programmes de l’école liront le livre et que les enseignants ne se laisseront pas imposer des programmes simplement dépoussiérés ou corrigés. Si l’on écoute le premier ministre parlant de 2025 (voir un grain de sel précédent : « l’école de 2025 »), si l’on accepte l’idée que la refondation ne peut pas limiter son ambition au maintien des programmes séculaires, il faudra bien que l’on mette l’intelligence et de l’intelligence dans les programmes.
Crédit photo : neurosciences Wikipédia
Les neurosciences au cœur de la classe. Pascale Toscani. Chronique Sociale. Juin 2013. 144 pages. 15 euros
Dernière modification le jeudi, 13 novembre 2014