Pour réfléchir ensemble à une mise à jour des Politiques Jeunesse, voici la Fiche Repère publiée sur le site de INJEP et dont il est l’auteur : « Politiques de jeunesse » : significations et enjeux d’une notion multiforme.
« Politiques de jeunesse » : significations et enjeux d’une notion multiforme
Largement mobilisée dans l’action publique et associative, la notion de « politiques de jeunesse » renvoie pourtant à des situations très diverses. Elle repose en effet sur des grilles de lectures différentes qu’il est utile de distinguer. La volonté des acteurs de développer des démarches de partenariat et d’implication des jeunes dans l’action publique se heurte souvent à la difficulté d’identifier ce que chacun exprime lorsqu’il mobilise en pratique cette notion. Distinguer les différentes significations associées aux politiques de jeunesse permet aussi de mieux comprendre les dynamiques de territorialisation qui s’y rapportent, c’est-à-dire les modalités par lesquelles les acteurs locaux ont gagné en autonomie de décision sur l’action publique.
Les travaux de recherche menés sur l’action publique et associative prenant en charge les jeunes permettent de dégager au moins trois niveaux de signification de la notion de « politique de jeunesse » (Loncle, 2012 ; Parisse, 2019b).
La « politique de jeunesse » comme secteur à part entière d’action publique et parapublique
Un premier niveau associe la notion à un secteur spécifique d’action publique et parapublique, connu sous le nom de « jeunesse et d’éducation populaire » (Porte, 2019).
Celui-ci s’est constitué historiquement au sein des mouvements d’éducation populaire – tels que la Ligue de l’enseignement, les Francas, les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation actives (CEMEA), Léo Lagrange, Familles rurales, les maisons des jeunes et de la culture (MJC), les centres sociaux, ou encore les foyers ruraux – pour la plupart fédérés depuis 1968 au sein du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (CNAJEP). Ces mouvements se sont notamment développés en promouvant la mise en œuvre de pédagogies dites « actives » et de pratiques éducatives qualifiées de « non formelles ».
Ce secteur a parallèlement connu un processus historique d’institutionnalisation politique et administrative à travers la création, en 1966, d’un ministère de la jeunesse et des sports – dont les prémices remontent néanmoins aux années 1930 et 1940 (Lassus, 2017). Si son découpage sectoriel n’a pas été stable dans le temps – comme en témoigne le rattachement actuel de la jeunesse au ministère de l’Éducation nationale –, cette « mise en administration » s’est néanmoins traduite par la création d’un agrément associatif, la mise en place de modalités de financements propres (Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire [FONJEP], subventions, etc.), mais aussi par l’instauration de corps administratifs (CEPJ, CTPS, IJS 1) ainsi que de diplômes spécifiques (BAFA, BAFD, BPJEPS 2). Aujourd’hui, cette administration sectorielle est incarnée, au niveau central, par la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) et, au niveau déconcentré, par les directions régionales de la jeunesse, du sport et de la cohésion sociale (DRJSCS) – créées en 2009 – et leurs déclinaisons départementales (DDCS et DDCSPP). Dans le cadre de la réforme de l’organisation territoriale de l’État actuellement en cours, les missions relatives au domaine de la jeunesse, de l’engagement et du sport sont amenées à intégrer, en 2021, les rectorats d’académie, dans le cadre des délégations régionales académiques à la jeunesse à l’engagement et au sport (DRAJES).
La « politique de jeunesse » comme l’ensemble des politiques sectorielles en direction des jeunes
Un second niveau relie, quant à lui, la notion à l’ensemble des politiques publiques sectorielles qui ciblent – spécifiquement ou non – les jeunes en tant que classe d’âge (dont les bornes varient selon les catégories mobilisées dans l’action publique et les travaux de recherche, mais dont les plus courantes sont celles des 15-25 ans et des 15-30 ans).
Il s’agit, autrement dit, de l’ensemble des politiques en direction des jeunes. Ces politiques s’organisent autour de différents secteurs de l’action publique, dont certains concernent de manière principale les jeunes, à l’image des politiques éducatives (portées par l’administration de l’Éducation nationale et l’enseignement privé sous contrat), des politiques d’insertion sociale et professionnelle (portées notamment par les missions locales, les structures d’information jeunesse, les foyers de jeunes travailleurs, etc.), des politiques de développement de la citoyenneté et de la mobilité internationale (portées par les associations d’éducation populaire, les collectivités territoriales, les services de l’État), ou encore des politiques des loisirs et du sport (portées par les associations, les centres sociaux, les maisons des jeunes et de la culture, les collectivités territoriales, etc.).
Parallèlement, l’ensemble des autres secteurs de l’action publique intègrent également des formes de ciblage – direct ou indirect – des jeunes, à l’image des politiques sanitaires, des politiques judiciaires, des politiques de l’habitat et du logement, des politiques de transports, de politiques de l’emploi, des politiques économiques et fiscales ou encore des politiques de protection sociale (la liste n’étant pas exhaustive).
Ces différentes politiques publiques contribuent dès lors à structurer un « état » (Charvet et al., 2001) et une « citoyenneté socio-économique » des jeunes (Chevalier, 2018) dominés, en France, par des mécanismes qui reposent sur :
– une forte sélectivité à l’école et dans l’accès à l’emploi ;
– une « familialisation » de la protection sociale, c’est-à-dire le fait que la majorité des aides destinées aux jeunes transitent par la famille (allocations familiales, aides fiscales) ou en dépendent (bourses universitaires par exemple) ;
– des dispositifs de solidarité aux montants d’aide très limités et fonctionnant selon une « logique tutélaire » (Lima, 2012), leur obtention étant soumise à l’appui préalable d’un professionnel (travailleur social, conseiller en insertion, etc.).
L’organisation sectorielle de la prise en charge des jeunes encadre ainsi l’ensemble des interventions publiques et associatives mises en œuvre à différentes échelles territoriales.
La « politique de jeunesse » comme approche transversale
Un troisième niveau de signification renvoie, enfin, la notion de « politique de jeunesse » au développement d’une approche transversale des politiques en direction des jeunes, dans une logique intersectorielle.
Celle-ci se matérialise notamment à travers la production, à différents niveaux, de documents d’orientations stratégiques ou budgétaires construits sur la base d’une telle approche, à l’image du document de politique transversale en faveur de la jeunesse (annexé au projet de loi de finances de l’État), de la mise en place d’un délégué interministériel à la jeunesse, ou des différentes chartes et/ou délibérations adoptées par des collectivités territoriales. Elle se traduit également par la mise en place de démarches partenariales visant explicitement à associer les différents acteurs sectoriels et les jeunes à la définition d’une politique de jeunesse, à l’image des démarches de « dialogue structuré » qui se sont déployées au cours des dernières années, tant au niveau local et national qu’européen.
Cette approche transversale s’est, en effet, largement développée à ce dernier niveau (Loncle, 2017), avec l’adoption d’orientations stratégiques – telle que la stratégie européenne pluriannuelle de la jeunesse – ou encore avec l’émergence et la diffusion de notions telles que celles de « politiques intégrées de jeunesse » (Siurala, 2005), aujourd’hui au cœur d’un certain nombre de programmes d’action publique en France, dont le programme d’investissement d’avenir (PIA) jeunesse (Abadie, 2019).
Une territorialisation différenciée selon le sens accordé à la notion de politique de jeunesse
Distinguer ces trois acceptions de la notion de « politique de jeunesse » permet de mieux identifier les modalités par lesquelles s’opère la territorialisation de ces différentes approches de politiques publiques.
Appréhendées comme secteur spécifique d’action publique (première signification), les « politiques de jeunesse et d’éducation populaire » se sont historiquement construites, jusqu’à aujourd’hui, selon des logiques fortement territorialisées (Christen, Besse, 2017 ; Loncle, 2003 ; Richez et al., 2007), dans la mesure où elles ne se sont pas structurées sur une régulation centrale forte, contrairement à d’autres secteurs comme les politiques éducatives ou les politiques sanitaires.
S’agissant des politiques en direction des jeunes (deuxième signification), le mouvement de territorialisation de l’action publique – notamment marqué par le développement des compétences des collectivités territoriales – n’a pas touché chacune d’elles de la même manière ni selon la même temporalité. Si, par exemple, les interventions sur le cadre scolaire (construction, réhabilitation et fonctionnement des établissements) ont été presque entièrement décentralisées, le contenu pédagogique des enseignements est, en revanche, toujours défini au niveau de l’administration centrale de l’État. Plus largement, parmi l’ensemble des politiques en direction des jeunes, on peut relever que certaines d’entre elles sont pilotées par les conseils régionaux (gestion des lycées, formation professionnelle initiale, information et orientation, transports notamment), tandis que d’autres sont prises en charge par les conseils départementaux (action sociale, gestion des collèges, aide sociale à l’enfance notamment) ou par les communes et les intercommunalités (mobilités urbaines, habitat, animation socioculturelle, etc.).
Enfin, les évolutions récentes issues de la loi dite « égalité et citoyenneté » du 27 janvier 2017 organisent une territorialisation du cadre institutionnel et partenarial de définition des « politiques de la jeunesse ». Le conseil régional se voit ainsi confier un rôle de collectivité « chef de file » en la matière, tandis qu’est également instauré un « dialogue structuré régional » associant les pouvoirs publics, les associations et les jeunes à la définition d’orientations stratégiques partagées. Cette forme de territorialisation renvoie, en ce sens, à la troisième signification évoquée ci-dessus, qui associe la notion de « politique de jeunesse » à une approche transversale et multiniveau des politiques en direction des jeunes (Parisse, 2019a).
1. Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur, brevet d’aptitude aux fonctions de directeur, brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport.
2. Conseiller d’éducation populaire et de jeunesse, conseiller technique et pédagogique supérieur, inspecteur de la jeunesse et des sports.
Article publié sur le site de l'INJEP
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Pour aller plus loin
Chevalier T., 2018, La jeunesse dans tous ses États, Paris, Presses universitaires de France.
Porte E., 2019, « L’éducation populaire en France », Fiches Repères INJEP.
Siurala L., 2005, A European Framework for Youth Policy, Strasbourg, Conseil de l’Europe.
Dernière modification le vendredi, 25 novembre 2022