Tous les humanistes et notamment les progressistes savent que le système éducatif était à bout de souffle et que, malgré ses progrès et les efforts des enseignants qui ont au moins réussi la démocratisation quantitative, malgré les réformettes et les réparations successives, sans parler de la régression orchestrée au cours de ces dernière années, il avait besoin d’être refondé.
La refondation a été annoncée ouvrant une espérance telle que l’on n’en avait pas connue depuis fort longtemps, avec la perspective d’une ère nouvelle pour les 20 ou 30 ans qui viennent. Chacun savait que ce serait difficile, que les conservatismes, les corporatismes, les électoralismes à court terme, les frilosités et les peurs formeraient des obstacles difficiles à franchir, nécessiteraient au moins le courage d’un Jules Ferry créant une école qui a fait consensus durant plus de 80 ans et qui a survécu longtemps encore, ou celui d’un François Mitterrand imposant la suppression de la peine de mort contre une majorité de l’opinion publique.
L’école avait besoin d’être retournée comme on retourne une veste, en essayant de ne pas la perdre. Commencer par un rapiéçage, une recoloration, le pliage d’un morceau de manche, le remplacement du col, une apparence de rénovation, condamne l’opération en la remettant à plus tard, c’est-à-dire à jamais.
Est-il possible de refonder sans rupture ?
C’était sans doute le pari du philosophe Vincent Peillon. Comme Lionel Jospin en 1989, il n’est pas dans ses conceptions d’imposer, de heurter, de chasser les sorcières pourtant nombreuses dans la haute administration, de sanctionner, de rappeler à l’ordre ceux de ses cadres qui majoritairement l’applaudissent debout à la Sorbonne mais persistent dans leurs pratiques autoritaires, s’inscrivant dans la continuité, en complète contradiction avec le projet de refonder.
Il a, par exemple, refusé de balayer d’un revers de main les programmes de 2008, comme l’avait fait l’un de ses prédécesseurs, Xavier Darcos qui avait cautionné ceux de 2002 pour les détruire plus tard sans évaluation et sans concertation. Il a refusé de les suspendre, ce qui aurait été la moindre des choses pour donner de la cohérence à son projet. Or, il s’agit d’un point clé de la refondation. Comment refonder en conservant des contenus, des pratiques et des fonctionnements hiérarchiques complètement en contradiction avec la philosophie de la refondation ? Comment peut-on parler du temps de l’élève sans étudier le problème de l’ennui qui est un facteur énorme de fatigue, de l’incompréhension des programmes cloisonnés, de la rupture entre les savoirs scolaires et ceux du territoire et de l’humanité, de la pédagogie, de la révolution du numérique qui va bien au-delà de l’amélioration de l’existant et du passé ?
Le travail d’une journaliste, Mathilde Sagaire, du site slate.fr, signalé par Philippe Watrelot dans la revue de presse du CRAP, est révélateur. Elle admet : « il n’y pas que les matières qui comptent ». Elle compare des emplois du temps et crée le sien : « A quoi pourraient ressembler les emplois du temps avec la réforme ? » écrit-elle.
Ma réponse à cette question : « A rien » et en tout cas : « A rien de neuf ».
Chantonnant dans ma tête quelques vers de Moustaki, je me dis : « Pendant qu’on espérait… il était encore temps », m’imposant d’oublier son pathétique « Il est (déjà) trop tard ».
Pierre Frackowiak