Les raisons de cette situations sont multiples, les perspectives de progrès confusément, parfois cruellement éprouvées dans le cadre de nos pratiques éducatives. Car si certains éléments du malaise ressenti sont complexes et de nature sociétale - crise de l’autorité, dévaluation de la culture et du travail scolaire, consumérisme parfois agressif des usagers… - il en est d’autres qui paraissent plus directement accessibles à des réformes attendues. Envisagée de manière globale, la faillite - relative… - de l’école française tient en grande partie à l’incapacité de changer de paradigme, de modifier un point de vue culturel largement obsolète.
Il en est ainsi, par exemple, de notre centralisme administratif.
Legs d’une histoire séculière, il a traversé nombre de changements de régime, marqué d’une transition douce le passage de la monarchie absolue à la république.
Il pèse désormais conséquemment sur la capacité du service public à prendre en charge la diversité des élèves, à s’adapter à leurs besoins comme à leurs profils.
Il en est de même concernant les missions des personnels, les métiers des enseignants comme ceux de l’encadrement, dont la réalité des tâches assumées ne correspond que très lointainement aux statuts établis - bien loin, souvent, des légitimes aspirations à agir comme à évoluer professionnellement.
La gestion de l’école suit ainsi les manques de son exacte représentation par les esprits de ses décideurs. Les angles morts gênent une vision largement incomplète, dispensent inopportunément aux regards de tomber sur l’essentiel : des contradictions manifestes entre un élitisme scolaire hérité de l’histoire et un objectif politique de démocratisation, entre des intentions de décentralisation administrative et le strabisme du jacobinisme.
Car l’urgence, fondamentalement, est bien là : dans la nécessaire adaptation des pratiques et des procédures de gestion pédagogique à la diversité d’un « terrain » éducatif qui ne peut plus, comme à l’heureux temps des « trente glorieuses », être conçu de manière standardisée.
En dépit des proclamations de principe, notre système scolaire reste organisé pour discriminer les élèves, distinguer les meilleurs.
Des pratiques de notation aux procédures d’orientation, tout concours à établir des hiérarchies et des palmarès, consacrés par une « voie royale » - toujours le bac S - de laquelle s’écartent – ou sont écartés - tous ceux qui ne s’en rendent pas capables par leur « mérite » scolaire. Mais la massification des publics vient télescoper cette réalité séculière, cette injustice scolairement valide : rendant caduques ses exigences et laissant aux personnels éducatifs le devoir improbable de concilier un nouvel objectif républicain avec une organisation éducative obsolète. Il n’est plus question aujourd’hui de soutenir que ce sont les élèves qui doivent s’adapter aux enseignements, selon la logique vertueuse d’une sélection des plus aptes.
Si « révolution copernicienne » il y a, c’est bien dans la formulation d’une nouvelle exigence d’éducation pour tous et de « socle commun » : chaque élève doit être accompagné par l’Ecole vers sa réussite, chaque établissement scolaire doit apporter à ses écoliers un accompagnement éducatif personnalisé. Le problème est alors qu’à l’évidence l’Education Nationale ne satisfait pas à cet objectif pourtant partagé. N’ayant pas su réformer authentiquement sa gestion pédagogique, elle souffre de cette contradiction profonde entre une culture de l’élitisme scolaire et un objectif de démocratisation des publics.
Confronté comme tous aux effets pervers d’une telle situation, j’ai modestement tenté, au fil de mes expériences et d’un quotidien parfois difficile, souvent stimulant, non décourageant par volontarisme, une analyse impromptue. En tant que « variable d’ajustement » d’une organisation éducative improbable, le chef d’établissement que je suis hasarde ici des commentaires et formule des « états d’âme », suggère des hypothèses d’explication et ose même, par moments, de possibles remédiations. Puisque tout, finalement, est affaire de point de vue, il convient donc de les faire varier, de les démultiplier afin de coller au mieux à ces réalités si diverses d’un « terrain » éducatif en souffrance. Tel est bien le parti-pris de ces questions : éclairages portés ponctuellement, déplacés intentionnellement, transférés de sujets de réflexion en objets d’analyse. Car la réalité de l’école est toujours trop complexe pour être appréhendée en une approche globale, ses problèmes trop profonds pour être tranchés de manière péremptoire. Puisqu’il semble clair que les « sciences de l’éducation » n’existent pas, seuls parlent ici des opinions, des idées partielles et nécessairement partiales sur des questions diverses où se nouent cependant des enjeux sociaux et politiques majeurs.
Que puisse se dégager, de cette multiplicité des perspectives et des analyses, quelques modestes éclairages sur un chemin incertain : telle pourrait être la fin de ce travail aux objectifs ouverts et aux réflexions improvisées. L’école est un sujet qui appartient à tous : parents, pédagogues, citoyens. Il incombe a fortiori aux chefs d’établissement de penser leurs problèmes, de ne pas laisser à d’autres l’exclusivité d’un regard sur l’éducation dont ils sont aujourd’hui les « ouvriers » et le rouage institutionnel central. La conviction principale qui parcourt la totalité de ces questions éducatives est alors qu’une autonomie accrue de nos établissements saurait rendre notre pilotage local plus adapté à nos besoins, plus respectueux de nos ressources : plus efficient, en un mot, et davantage attentif aux difficultés de nos élèves.
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Publication de l’ouvrage : www.editionsducygne.com
"Questions éducatives"
Dernière modification le mardi, 24 novembre 2015