De l’émission-réception naturelle à la télécommunication mécanique

Les télécommunications numériques avec ou sans fil et l’univers technologique auquel elles appartiennent sont devenus omniprésents et parfois addictifs. Leur impact socio-économique est régulièrement commenté, leurs effets sanitaires controversés et les ressources énergétiques et matérielles qu’elle consomment et qu’elles consommeraient dans le futur font débat. Et pourtant … depuis la nuit des temps les êtres vivants communiquent (entre eux) le plus souvent pour annoncer ou réagir à un évènement avertir d’un danger ou pour signaler leur présence. Que de chemin parcouru depuis !

Dans tout le règne animal la communication se fait par le plus souvent par le son, l’odeur, le mouvement et le message sert à baliser un territoire, séduire un(e) partenaire, rechercher de la nourriture ou résister à un prédateur.

Quant à la communication du genre humain elle a très longtemps utilisé d’autres « générations » de communication que les seules normes techniques 1G, 2G, 3G etc., avec le son  (cris, sifflements, usage d’instruments à percussions) et avec un signal visible (torches enflammées, fumée).

Ces messages, propagés quasi-instantanément étaient très rudimentaires voire binaires (présence absence) et leur transmission se fait de point à point ou vers l’ensemble d’une communauté locale .

On ouvrira ici une parenthèse : la communication du genre homo d’informations plus « élaborés » a débuté avec le développement du langage et de l’écriture sur des supports permettant de les porter à des distances variables. Si l’ écriture n’est pas le sujet de fond de cet article il convient de rappeler que du c’est du texte parlé ou écrit, codé ou non, qui circule dans les outils de télécommunication modernes.

La conception de « l’art des signaux » permettant de transmettre une message alphabétique remonte à l’Antiquité et c’est avec télégraphe optique Chappe que, pendant la Révolution, sera développé en France le premier réseau de télécommunications de stature nationale dès la fin du 18ème siècle. Chaque station du réseau est équipée d’un sémaphore mécanique constitué de bras articulés dont les différentes positions correspondent à des signes alphabétique observables à plus de 10 km grâce à deux longues vues dirigées vers le relais précédent et le relais suivant. Le télégraphe (en grec écrire de loin) était né !… et avec lui le principe de la communication par des relais multiples. En 1794 la démonstration est faite qu’avec ce nouveau système la transmission d’un message sur 200 km ne demande que quelques minutes alors qu’à cheval il aurait fallu 20 heures.

Quand l’électricité s’en mêle avec et sans fil

Parallèlement aux recherches sur l’électricité et l’électromagnétisme de nombreux systèmes de télégraphie électrique ont été essayés dès la fin du 17ème siècle.

C’est en 1838 que le premier télégraphe électrique commercial est mis en service sur une distance de 21 km en Angleterre.

Le premier système permettant de transmettre la voix par une ligne électrique, le téléphone, a été conçu par Antonio Meucci en 1849 et c’est en 1880 qu’une première ligne commerciale de 70 km est déployée en 1880 entre Boston et Providence par la Bell Telephone Company.

La première communication sans fil à courte distance par radio a été démontrée en 1893 par Nikola Tesla et en 1901, Guglielmo Marconi réalise la première communication radio entre le Canada et l’Angleterre. C’est une véritable révolution technologique qui touche alors le transport maritime, la transmission d’informations (par radiodiffusion), la télédétection radar, la télévision, et la téléphonie mobile.

Les débuts de la télécommunication nomade

Du beeper au téléphone transportable elle est quasi exclusivement utilisée par les professionnels.

Les beepers  sont des dispositifs de radiomessagerie unidirectionnelle beaucoup utilisés au cours des années 1980-90 dans de nombreux secteurs (médecins, techniciens de maintenance, commerciaux itinérants, etc.). Le porteur de cet hybride fonctionnel doit utiliser le réseau filaire pour se mettre en relation avec son correspondant qui lui a envoyé un bref message par les ondes.

Les premiers réseaux de télécommunications mobiles commerciaux utilisant une technologie analogique (1G) apparaissent au tout début des années 1980 au Japon, en Europe du Nord puis au Etats-Unis. En France le réseau Radiocom 2000 est lancé en 1986. Les téléphone (trans)portables sont volumineux, lourds et très coûteux ; il y a quelques dizaines de milliers d’abonnés (60000 en 1988) principalement des cadres dirigeants et 90 % des terminaux sont installés dans des automobiles.

Des données et des ondes : quand le téléphone texte avec la 2G

La deuxième génération de téléphonie mobile apparaît à l’aube des années 1990. En Europe c’est la norme GSM (Groupe Spécial Mobile) qui fait référence. Elle est d’abord utilisée pour les communications vocales. Ensuite, avec l’extension GPRS (General Packet Radio Service), puis l’extension EDGE, la norme GSM accepte de plus grands débits (qui peuvent atteindres 300 kbit/s) et permet la transmission de données. Les opérateurs offre un service nouveau : le SMS (short message service) et le téléphone mobile fait sa première mue: non seul on parle mais on peut aussi peut écrire à distance -sans fil- avec une appareil de 200 à 300 grammes que l’on peut glisser dans sa poche!

En 10 ans le nombre abonnements au téléphone mobile explose : en France, on en dénombre 35 millions en 2001 soit 1 million de plus que des abonnements filaires. On peut téléphoner appeler ou recevoir un appel partout : dans la rue, dans le train, au restaurant, etc. Cette liberté technique nouvelle (plus besoin de rechercher une cabine téléphonique), a des inconvénients : elle crée une nuisance sonore mal supportée par les personnes à proximité. On téléphone aussi en conduisant sa voiture pour gagner du temps, pour répondre à un appel supposé urgent. On observe rapidement que le téléphone au volant cause des accidents corporels. En 2003 l’utilisation d’un téléphone mobile tenu en main est interdite. Le kit main libre reste autorisé jusqu’en 2015 : cette année là on constate que l’usage du téléphone est responsable des 10 % des accidents (soient 362 tués et 7340 blessés).

Plus généralement, le téléphone mobile dépasse rapidement sa fonction intrinsèque de communication à distance. Ce nouvel objet de grande consommation devient un support de l’expression du soi, un prolongement corporel qui en fait un instrument d’affichage identitaire, notamment chez les jeunes.

Du débit, encore plus de débit

Dans les fils avec l’ADSL

Jusqu’en 1999 les connexions internets via le réseau téléphonique souffrent de la lenteur des modems analogiques plafonnés à 56 kbit/s. La technique l’ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line) permet d’émettre et recevoir des données numériques de indépendamment des signaux analogiques du téléphonique conventionnel avec un débit significativement supérieur (512kbit/s). Elle est proposée en France à partir de 1999 et son déploiement est lent faute d’une offre commerciale attractive : en 2001 France Telecom n’a séduit en 2001 qu’un total de 300.000 abonnés, majoritairement Parisiens. L’ouverture à la concurrence et l‘arrivée de nouveaux opérateurs « fournisseurs d’accès » permet un développement plus dynamique et 75 % du territoire français est couvert en 2003. Avec l’ADSL2 lancé en 2004 les débits augmentent encore et progressivement l’internet domestique se démocratise notamment avec des offres « triple-play » qui offrent un bouquet de services téléphone-internet-télévision.

Le lancement des premières sites de streaming (transfert en continu) audio à l’orée des années 2000 est suivi par le développement des plateformes de location de vidéos à la demande en 2005 alors qu’apparaissent les premiers services de visioconférence destinés aux professionnels et aux administrations.

Dans les ondes avec la 3G

La téléphonie mobile de 3ème génération (3G) émerge lentement partir de 2000 et son déploiement en France débute en 2004 avec des débits de de 144 kbits à 1,9 Mbit selon les zones.

Dans le même temps il y a comme un alignement des planètes de l’innovation chez la société Apple qui développe à partir de 2005 l’Iphone. Son lancement en 2007 marque un véritable tournant dans les télécommunications mobiles par son concept disruptif qui combine plusieurs fonctions : écoute de musique (stockée dans la mémoire), appareil photo, téléphone et envoi de messages internet avec une manipulation facilitée par son écran tactile. Cette première version fonctionne sous 2G-EDGE, la suivante lancé en 2008 utilise la connectivité 3G. Dès 2009, de nombreux autres fabricants lancent des appareils à écran tactile utilisant le système exploitation Androïd de Google.

Avec la déferlante des smartphones le téléphone mobile n’est plus seulement un objet de communication, c’est un couteau suisse qui sert à se localiser, à s’informer, à se divertir et « réseauter » et même parcourir le monde virtuellement grâce à la technologie « Google Street View, Tout cela avec un ordinateur miniature qu’on peut manipuler d’une seule main.

Signe que la téléphonie mobile inonde la planète le taux mondial moyen d’équipement franchit la barre des 50 abonnements pour 100 habitants en 2007. Si le taux de pénétration varie selon les zones géographiques, l’impact économique touche la quasi-totalité de la planète : plus de services dans les pays développés , opportunité industrielle pour les fabricants de terminaux asiatiques, et déploiement de services inaccessibles jusque là en Afrique.

Le spectaculaire développement des smartphone ne doit pas occulter l’apparition de nombreux autres objets connectés utilisés pour piloter des process industriels et pour collecter toutes sortes d’informations (transports, approvisionnement en eau et en énergie, gestion des déchets…) en vue d’optimiser pour optimiser les services urbains au sein de villes intelligentes (smart cities en anglais).

La démocratisation d’internet et la prolifération des terminaux mobiles (smartphone, tablettes, PC portable) en font autant de consoles de jeux vidéo sur lesquelles on peut jouer seul ou à plusieurs. Ce divertissement devient très populaire et son potentiel addictif est rapidement détecté, notamment chez les participants à un jeu de rôle en ligne.

Des questions et et des débats commencent à émerger avec ce coup d’accélérateur dans le développement des télécommunications qu’il s’agisse de la consommation d’énergie de leurs infrastructures et objets associés, de risques sanitaires, de la protection des données personnelles, de l’expansion de la cyberdélinquance ou des effets des nouveaux usages sur le comportement et les relations interpersonnelles.

Toujours plus vite, toujours plus de connexions avec la 4G

Peu après que les normes internationales de la 4G sont définies en 2010, les opérateurs proposent des offres commerciales en Corée du Sud, au Japon, aux États-Unis puis en Europe. En France la 4G « grand public » est lancée fin 2012.

La 4G permet des débits plus élevés jusqu’à 3 Gbit/s, théoriquement. En pratique cela peut être beaucoup moins selon le nombre d’usagers partageant la même bande passante. Quoi qu’il en soit cela permet de télécharger presque instantanément de gros fichiers (applications, vidéos, etc.). La télévision et le streaming sont alors à portée de main, partout où « il y a de la 4G » et le transfert de vidéos courtes via les réseaux sociaux devient une banalité. Par ailleurs le paiement sans contact avec un téléphone mobile progresse lentement mais sûrement et les adeptes de la réalité virtuelle peuvent brancher leur casque sur leur smartphone.

Ainsi par la multiplicité des services auxquels il donne accès le smartphone est devenu un compagnon de tous les instants.

Parallèlement le déploiement à grande échelle de la fibre optique commence en France en 2013 dans le cadre du plan France Très Haut Débit (THD). A l’instar du développement de la téléphonie filaire dans les années 50-60, l’accès au THD par la fibre ou par la 4G devient une priorité d’aménagement du territoire.

Tout connecter, tous connectés avec la 5G ?

Pour faire répondre à l’augmentation des usages numériques (smartphones, tablettes, objets connectés) sans que cela risque de saturer les réseaux, les équipementiers et les opérateurs ont lancés des travaux de R&D pour renforcer les performances des télécommunications mobiles dès la fin de 2014. Les premiers tests de la téléphonie de la 5G débutent en 2015.

Cette cinquième génération n’est pas une nouvelle technologie en soi mais une combinaison de nouvelles technologies grâce auxquelles le débit de données dépasse 10Gbit /s et le temps de latence est drastiquement réduit ce qui est très important pour les transmission vers et depuis les objets connectés complexes comme les véhicules « intelligents », les robots chirurgicaux virtuels, etc. qui nécessitent une télécommunication instantanée. Avec la technologie 5G, la latence est de l’ordre d’une milliseconde (ms) alors qu’elle est d’environ 20 ms pour la 4G.

Si la 5G est initialement perçue comme un outil supplémentaire de la virtualisation du monde, son impact variable. Dans les entreprises le concept de jumeau numérique qui consiste à gérer un process grâce à un duplicata numérique se développe notamment dans l’industrie. Pour le grand public le métavers connaissent des fortunes diverses : progression dans les jeux en ligne – renoncement de Facebook en mars 2023.

En France la mise mise en service de la 5 G en 2020 relance le débat sur les risques sanitaires liés à l’exposition aux ondes électromagnétiques et l’explosion de la consommation d’énergie que pourrait générer les usages de cette nouvelle génération de télécommunication sans fil. Trois ans après, la 5G peine à convaincre le grand public à cause d’une couverture du territoire insuffisante, le coût d’achat d’un terminal 5G et une acceptabilité sociale hésitante.

Depuis toujours la communication à distance est consubstantielle de la survie des êtres vivants et du développement de l’espèce humaine. Alors que la 6G pointe son nez en Corée du Sud, il apparaît que la course à la performance est loin d’être terminée. Jusqu’où et pourquoi faire ? A l’heure de la numérisation du monde la question est ouverte.

Xavier Drouet

 Télécommunications : de génération en génération - Hommes et Sciences