L’éducation est le reflet de notre société : paradoxale, morcelée, conflictuelle, inégale et livrée désormais aux soubresauts du monde économique, informationnel, culturel et environnemental. Elle peut être aussi réactive, créative, structurée, éthique et citoyenne.
Un système mondial
"Apprendre aujourd'hui et (ré)apprendre demain avec le numérique » rédigé par la sociologue Sandrine Cathelat, présente l’analyse et le point de vue de Netexplo, l’observatoire mondial des nouvelles technologies.
Nous devons faire face à un avenir qui n’a jamais été aussi incertain. La révolution numérique est une des causes de cette incertitude : que va-t-elle dessiner comme monde demain ? Mais ce serait sans compter l’environnement détraqué, l’obscurantisme galopant, la défiance institutionnelle, les crises sanitaires et tout le reste. Nous devons aborder un avenir incertain et notre système éducatif, conçu il y a vingt ans de cela, ne nous y prépare pas, bien au contraire.
Alors même que nous devons faire preuve d’audace, d’esprit d’aventure, de créativité, nous nous constatons amputés des talents pluriels et singuliers qui nous permettraient d’inventer l’avenir. Quelle mutation doit opérer le monde de l’éducation pour nous permettre d’envisager et de construire l’avenir qui nous fait face ?...
Cette facilité avec laquelle nous cherchons information et connaissance sur le web est-elle comparable à de l’apprentissage, est-elle le signe d’une envie d’apprendre ? Le savoir potentiel qui est à portée de main suppose-t-il une envie de tous d’y accéder ? Les opinions peuvent diverger sur ces points.
Apprendre aujourd'hui et (ré)apprendre demain avec le numérique
Inégalités d'accès, de formations, d'accompagnements...
Avec la crise de la Covid 19, les failles sont vite apparues : matériels et infrastructures, inégalités d’accès, manque de formation des enseignants, non sensibilisation aux outils sécurisés, réalités sociales avec les parents contraints à assurer l’école à la maison dans des conditions souvent difficiles
La crise a une fois encore et de manière brutale, pointé les inégalités dans les territoires, leurs investissements différents et surtout leur potentiel à condition que les moyens soient mis en œuvre rapidement et qu'un accompagnement soit prévu en matériel et en présentiel car nous connaissons bien les processus de décrochage. La dématérialisation des services publics, des administrations, le changement de logique de la prise en compte globale des difficultés par des personnes à une réponse séquentielle et robotisée en ligne ne facilite pas les transitions.
De l’inclusion de quelques-uns à l’inclusion pour tous la démarche change à la fois d’intérêt mais aussi d’échelle. La conception de l’école sur des structurations d’espaces et de temps, de son rapport à l’évaluation et à la compétition dans un monde social toujours plus complexe doit poursuivre ses mutations !
Quelles innovations au regard des épreuves d’aujourd’hui ?
Il y a bien des manières d'innover : l'innovation stratégique qui relève des choix d'orientation, de gouvernance, de choix économiques ou politiques; l'innovation technologique mue à la fois par l'émulation de la découverte scientifique tournée vers l'amélioration de la vie, vers l'économie et aussi la stratégie de concurrence; et puis, tous les dispositifs dont chacun peut être un acteur, ceux qui font que l'innovation existe au quotidien, celle qui crée le lien social et la valorisation des territoires.
En priorité : Repenser le contrat éducatif, s'interroger sur la place des parents
Jean-Christophe Torres : Avant de tenter d’appréhender une situation d’injustice scolaire et de contradiction culturelle entre les fins et les pratiques de l’école française, il convient de commencer par l’examen d’une question fondamentale : sur quelles assises conceptuelles et juridiques les valeurs et les pratiques éducatives du système scolaire français repose-t-il ? Quels sont en d’autres termes les principes de notre école ? Les principes étant en effet l’expression des conditions de mise en œuvre des valeurs, comment ceux-ci énoncent-ils les contradictions qui minent aujourd’hui notre enseignement ? Répondre à ces questions dans une approche contractualiste, c’est s’interroger préalablement sur la position originelle des élèves et des parents face à l’école.
https://educavox.fr/formation/analyse/pour-une-theorie-du-contrat-educatif
Autre article de questionnements :
Le conflit des deux écoles : inclusion ou méritocratie républicaine
Faciliter les expressions collectives :
Alain Jeannel : " La population est en interaction affective, sociale, économique et politique et impose la construction d’expressions collectives...De multiples analyses, des outils, des actions, des rendez-vous : voici de nombreuses pistes propices au développement d'une culture intégrant le parcours de nos pratiques et idéologies empreints de conflits et de contradictions, avec des manières différentes de générer de nouveaux modes de fonctionnement.
Les structures familiale (les rapports parents-proches-enfants), sociale (les métiers, les professions), représentative de l’Etat et représentative de la politique locale ont chacune des appuis associatifs qui font partie de la vie locale. Ceci implique la participation de l’ensemble du public local concerné, la prise en compte de la position de l’Etat et de la collectivité locale de l’établissement."
Des contrats locaux, des projets émergent (Cité éducative, Tiers-lieux, Campus numérique par exemple). Le numérique comme outil ou comme découverte de tout l'écosystème ne peut que contribuer à des créations et à des appropriations nécessaires.
Agir en amont : la recherche plus participative, les pratiques plus collaboratives, l'éducation plus ouverte :
Dépasser les incohérences, développer localement des pratiques et des échanges, travailler tous ensemble, créer de nouvelles dynamiques, donner du sens à la complexité, développer les qualités humaines et les outils cognitifs.
https://www.educavox.fr/edito/complexite-et-sens-des-expressions-collectives
Accompagnements
Les collectivités impactées par les revendications citoyennes issues d’un monde d’échanges numériques, confrontées à la dématérialisation des services et l’accompagnement de toutes les populations, élaborent de nouvelles stratégies de développement et d’accompagnement.
Les villes ont un rôle essentiel à jouer, dans un contexte où la vie dans la cité passe de plus en plus souvent par des acteurs privés et des solutions numériques portées par de grands acteurs privés.
Jennifer Elbaz « A l’heure où l’on parle de participation citoyenne augmentée, de Civic tech, d’open data et de ville intelligente, l’éducation au numérique du plus grand nombre doit être un objectif prioritaire car elle est garante d’une politique inclusive : tous les citoyens et toutes les citoyennes, y compris et surtout les plus éloigné(e)s du numérique, doivent comprendre les enjeux du numérique s’ils veulent participer à la vie de la cité. »
Tous ceux qui collaborent à l’inclusion numérique est exprimée par des expressions telles que « formation au numérique des acteurs sociaux », « communiquer entre acteurs », « mise en commun des objectifs, pratiques et ressources », « favoriser l’entraide »., « contribution de chacun au réseau », « normalisation de réseaux disparates et simplification », « organisation de la formation ».
A ces souhaits, s’ajoutent des pratiques telles que la confidentialité, le numérique comme un levier de liens et de rencontres, la rupture de l’isolement des personnes en difficulté, le respect de la personne humaine.
Régis Chatellier, chargé d’études prospectives à la CNIL : « Du concepteur à l’utilisateur il est nécessaire d’avoir une culture critique concernant tous les maillons de la chaine humaine »
Formations
Il est certain que les modalités de formation se modifient, à la fois la méthode et la forme.
Denis Cristol : Des salles de formation de nouvelle génération fleurissent partout, avec elles des démarches de transformations. Une envie de refaire le monde éclos dans des labs (fab lab, living lab, learning lab), des ateliers et des espaces de co-working s’installent au pied de chez soi.
Pensée design (Xavier Garnier)
https://www.educavox.fr/accueil/debats/la-pensee-design-en-formation-agir-sur-le-pouvoir-d-agir
Hybridation (JF Cerisier)
https://www.educavox.fr/accueil/debats/les-institutions-educatives-a-l-epreuve-de-l-hybridation
Présence /distance (André Tricot)
Quid du numérique éducatif ?
Les techniques numériques peuvent apporter des outils de communication, d’échanges, de visualisation, de réalité virtuelle, elles permettent d’accéder à tout contenu, à partager des projets, à co-construire des apprentissages…à écrire, à lire, à créer, à produire, à s’enregistrer à avoir accès à des contenus authentiques pour les langues vivantes par exemple, à jouer à des jeux vidéo…Elles permettent la classe inversée, la twictée, les maths en réseaux, elles développent l’autonomie, changent l’évaluation… L’Intelligence Artificielle peut permettre de personnaliser les approches, d’individualiser…
" Le numérique apparaît désormais comme un environnement et non comme addition d'outils. Les outils n’apprendront rien de la culture numérique, des données et de leur utilisation, des comportements nouveaux qui se développent par l’usage de ces outils et techniques. Ces outils ont engendré des formes nouvelles de s’informer, de faire, de penser, d’apprendre et d’être en relation avec les autres.
Les pratiques changent. C'est une nouvelle façon d'être en société. " La culture numérique c'est notre culture. Elle n'est que notre culture à tous, celle d'ici et maintenant, telle qu’elle a évolué avec la disponibilité permanente des techniques numériques. " (Jean-François Cerisier)
L'éducation aux médias et à l'information s'inscrit donc désormais pleinement dans les défis du numérique.
L’esprit critique est ou doit être enseigné de la maternelle jusqu’à l’université…Créer, collaborer, coopérer, chercher… sont les fondements de l’utilisation raisonnée du numérique. (Jean-Marc Merriaux)
Mettre en débat permanent l’utilisation des téléphones portables, les temps passés devant les écrans, ne modifie en rien les comportements…Être citoyen à l'ère de la mise en données numériques des sociétés, signifie réaliser un parcours allant des données aux informations, des informations au savoir, du savoir à la culture... Le rôle de l'école est de donner du sens, de prendre de la distance en travaillant sur la longue durée.
Il est indispensable que les données soient protégées, car ce sont des données personnelles : identité numérique, performance scolaire, sécurité… Une stricte observation des règles éthiques dans le traitement de ces données est attendue de la part de l’institution scolaire, notamment par la mise en œuvre du RGPD (Règlement général sur la protection des données). Il est désormais évident que ces données sont une source inépuisable de profits pour l’économie et qu’il y a donc matière à précautions afin d’éviter leur marchandisation via des éditeurs, des entreprises de services numériques, des moteurs de recherches ou des plateformes d’échanges. L’éducation ne saurait être au service de l’économie numérique même si elle doit prendre en compte cette dimension.
Le numérique éducatif éthique et responsable, une référence à des valeurs.
Jean-Christophe Torres : C’est toujours et encore, en toile de fond, avec les valeurs d’égalité de liberté et de fraternité dans un monde désormais connecté qu’il convient de réinventer le monde éducatif. Recréer la confiance numérique, impliquer les parents, tous les acteurs éducatifs, éviter les discours anxiogènes et rechercher les équilibres, ne pas négliger le vecteur des jeunes eux-mêmes. Co construire des approches éducatives nouvelles avec tous les acteurs en responsabilité. Avoir enfin une conscience culturelle, politique et éthique de la société que nous voulons et vivre ensemble dans le cadre d'une humanité élargie...
Entre les valeurs de l’école et leurs principes de mise en œuvre, notre système scolaire est parcouru par de multiples contradictions qui, chacune isolément et a fortiori prises ensemble, compromettent gravement les pratiques autant que les décisions éducatives : inclusion scolaire ou logique d’excellence, égalitarisme formel ou « discrimination positive », laïcité ouverte ou unité républicaine, école pour tous ou méritocratie, autonomie des équipes et des établissements ou universalisme du service public… Ces conflits, divers et tous essentiels, appellent alors à examiner dans son ensemble une éthique scolaire aujourd’hui menacée par autant d’incohérences factuelles, autant de dilemmes qui ne se disent pas au grand jour. Ils invitent enfin à construire une nouvelle théorie du contrat éducatif susceptible de les comprendre et de les dépasser. »
L'éthique : Une dimension supplémentaire ajoutée par le numérique
Les capacités offertes par le numérique, corpus de données et leurs utilisations, robotique et machine Learning, les capacités d’investigations deviennent exponentielles et par conséquent les bases même des réflexions éthiques sont modifiées.
Les valeurs non partagées à l’échelle internationale compliquent la donne.
Quelle charte des pratiques ? Liberté ou censure ? Quelles règles pour les fausses informations ou les paroles blessantes, les actes délictueux ? Dans un monde de concurrence, comment imaginer un monde de transparence et de solidarité ?
Le Forum Educavox 2019 : Numériques et Ethique
Accès au dossier avec les vidéos : https://educavox.fr/les-reportages/content/370-forum-educavox-2019-2/
Le confinement a rappelé la vocation éducative de l’école.
François Dubet : Les élèves ont moins souffert de la disparition des cours et des leçons que la fin de la vie scolaire elle-même. On grandit à l’école parce qu’on est confronté à d’autres, à des camarades et des adultes. Ces relations plus ou moins heureuses sont au cœur de l’éducation, de la formation des individus, de la capacité de se révéler à soi-même et de comprendre le monde. Pour les élèves, les amours, les amitiés, les goûts partagés, les détestations et les conflits ne parasitent pas l’école car c’est là qu’ils apprennent à vivre avec les autres et à savoir qui ils sont. Ce constat est trivial. Cependant la tradition scolaire française reste lourdement scolaire. Nous pourrions rêver d’une école qui cesse d’opposer les enfants et les adolescents à des élèves qui ne seraient là que pour apprendre, et qui n’apprennent souvent que pour se classer.
La principale leçon de la pandémie est politique. Durant le confinement, la plupart des enseignants se sont mobilisés comme ils ne l’auraient sans doute jamais fait si un ministre l’avait exigé. Ils ont utilisé des outils qu’ils maîtrisaient parfois peu, ils se sont souciés des élèves qui décrochaient, ils ont travaillé avec des collègues, ils ont accepté un contrôle continu au baccalauréat qui faisait horreur à beaucoup.
La leçon que nous devrions tirer de cet épisode est la suivante : plutôt que croire que le changement vient toujours d’en haut, de la rue de Grenelle et de la chaîne hiérarchique, nous pourrions penser que le changement vient d’en bas, du dynamisme et de la mobilisation des enseignants et des équipes éducatives.
François Dubet, Marie Duru-Bellat : L'École peut-elle sauver la démocratie ?
Comment ne pas se poser la question des espaces et des temps scolaires et éducatifs ?
Robert Sauvaget : "Vaste sujet, qui s’inscrit plus largement dans une réflexion très ancienne autour du rythme scolaire, des alternances temps de classe/temps périscolaire, des projets éducatifs partagés ou transversaux, de la place des parents à l’école, des équilibres sur l’année entre période de classe et vacances…
L’épidémie, le confinement et la période de reprise progressive interrogent à nouveau ces dimensions du « scolaire », « domaine éducatif partagé », « périscolaire et parascolaire »…
- Définir des règles pour organiser l’hybridation d’un enseignement en présentiel et à distance : travail en équipe pédagogique, rôles des élèves et parents…
- Mettre en place des formations spécifiques pour mieux maîtriser les modalités d’organisation d’un enseignement à distance (contenus, outils et applications numériques, partenaires…).
- Organiser une plus grande coordination entre le scolaire et le périscolaire en termes de contenus et de projets, en respectant les spécificités de chaque institution et avec des formations communes ; l’école pourrait devenir le lieu central d’un ensemble d’actions éducatives avec une complémentarité d’acteurs en lien avec les besoins identifiés chez les enfants… Mais il est nécessaire de rappeler également les missions de chacun et la particularité du processus d’apprentissage qui nécessite une expertise détenue par les enseignants…
- Conserver une cohérence sur l’ensemble du territoire national au regard de la disparité des projets, propositions, offres et moyens des collectivités (cadre de programmes et de référentiels communs…)
- Revoir le rôle du Directeur comme coordonnateur des actions, ou interlocuteur central, avec une décharge de classe ajustée à la mission.
- L’aménagement des locaux, des cours de récréation, des espaces collectifs et des mobiliers reste d’actualité dans la perspective d’une circulation aisée des personnes, du travail en groupes, du climat scolaire et des relations à établir au sein d’un espace plus accueillant…
- Responsabiliser les équipes locales qui ont acquis une expérience et qui pourront s’engager dans les réflexions collégiales menées également en partenariat…"
Robert Sauvaget : https://educavox.fr/accueil/breves/lettre-ouverte-aux-acteurs-de-l-ecole-et-plus-largement-aux-citoyens-engages
Les Etats Généraux du Numérique Educatif (https://educavox.fr/alaune/jean-marc-merriaux-une-grande-concertation-nationale-sur-la-place-du-numerique-a-l-ecole-dans-le-cadre-d-une-gouvernance-renouvelee) apporteront certainement des réponses et des propositions.
Les questions complexes ne se règlent pas uniquement avec le numérique chacun le sait. Ce sont de véritables mutations culturelles dont nous avons besoin. Un changement en tension avec les questions politiques, culturelles, économiques et éducatives...
Dernière modification le jeudi, 13 mai 2021