Didier Pourquery :
"Je suis particulièrement heureux de vous accueillir ici à Cap Sciences, association dont j'ai l'honneur d'être le président depuis janvier et qui a reçu en 2017, pas moins de 170.000 visiteurs.
Cap Sciences est évidemment une équipe de médiateurs, d'animateurs, de concepteurs mais c'est aussi un espace de partage et d'expérience, d'échanges et de créativité, un lieu de mise en scène des savoirs scientifiques et technologiques, mais aussi de mise en scène de l'innovation.
Tous les thèmes qui je le sais vous tiennent à cœur dans votre domaine, celui de l'éducation.
La question choisie pour cette entrée en matière peut paraître très ambitieuse à traiter en 15 minutes. Construire une vision éclairée des enjeux de sociétés… le thème est large.
Pour l'aborder clairement je vais le faire à ma manière, à la manière d'un des métiers les plus décrié aujourd'hui, celui de journaliste, un métier classé juste avant les agents immobiliers ou les banquiers (selon les années) dans les sondages d'opinion sur la confiance dans les professions en France.
J'exerce ce métier depuis près de 40 ans avec toujours la même idée. En 1973 j'ai lu un livre qui devait changer ma vie, un livre de Pierre Mendes France et Gabriel Ardant intitulé "Science économique et lucidité politique" qui expliquait entre autre que puisque "la science économique importe au sort de chacun d'entre nous" il faut la partager largement. Notons que ces bons auteurs croyaient en une science économique au service de l'homme et non au service de la finance.
Je suis donc devenu journaliste pour cela : expliquer l'économie, expliquer les sciences sociales, partager. Et écrire pour les lecteurs. Pas pour les hommes politiques, pas pour les puissants, pour des lecteurs de base. Parce que la démocratie, aujourd'hui plus que jamais se nourrit d'informations sûres et bien expliquées. Et c'est ce qui m'a conduit il y a 4 ans à quitter la rédaction en chef du Monde pour monter avec quelques amis, notre start-up… une start –up de vieux nous a dit un stagiaire l'autre jour… La version française du site mondial The Conversation qui vise à nourrir le débat citoyen de l'expertise universitaire. Dans le monde près de 40.000 enseignants chercheurs rendent leur savoir accessible sur notre plateforme –avec l'aide de journalistes spécialisés- afin d'éclairer le débat public. C'est de là aussi d'où je parle ce matin.
Construire une vision éclairée des enjeux de société scientifiques, technologiques…
C'est d'abord et avant tout sortir de la méfiance face aux canaux classiques. Qui parle, qui m'éclaire, qui tient le projecteur, qui choisit d'éclairer tel ou tel objet de science ? Le politique est souvent déconsidéré car trop partie prenante. Les médias/les journalistes ont perdu peu à peu la confiance du public et les "experts" des plateaux télés ne sont souvent que des experts en expertise
Il faut donc d'abord reconstruire la confiance. Cela passe par le partage de contenus vérifiés, contrôlés, "sourcés", labélisés, certifiés. Cela passe aussi par la transparence : qui parle, certes, mais aussi qui finance qui ?
Une fois que les éléments de la confiance reconstruits, que partage-t-on comme contenu ?
Des informations certes, des faits observés, des observations scientifiques et des analyses. Oui, des analyses, et non des commentaires ou des opinions, des croyances ou des réaction. Sur Internet ce sont les commentaires et les opinions qui semblent recouvrir tout. Emportés par le vertige d'être publié, d'être rendu public, chacun, tout le monde, n'importe qui se met à s'exprimer sur n'importe quoi; la croyance, l'opinion, envahit tout.
D'où l'importance de partager faits et analyses plutôt que croyances et opinions.
Ensuite et surtout construire une vision éclairée passe par le partage de deux éléments cruciaux : la démarche scientifique et l'esprit critique
Et c'est là où l'éducation intervient, vous le vivez tous chaque jour. Par exemple développer la littératie numérique. Poser des questions sur ce qu'on voit sur un écran, ce qui se passe derrière l'écran.
Partager des contenus qui suscitent les questions, qui stimulent la curiosité. Vous le savez les spécialistes en neuro-science estiment qu'on atteint le sommet de sa curiosité à 5 ans… après viennent tout un tas de réponse, trop de réponses sans doute (c'est le cas de le dire), qui balisent l'esprit curieux.
Stimuler la curiosité, stimuler le questionnement, apprendre à tout un chacun à questionner ce qu'il voit, cela ne veut surtout pas dire n'avoir confiance en rien, et se méfier de tout, une attitude qui mène au désespoir et pave la voie de toutes les croyances irrationnelles.
Pour boucler la boucle, le métier de journaliste tel que je le conçois c'est aller voir sur place, rencontrer et poser des questions, questionner, vérifier, aller chercher ceux qui savent, aller chercher les analyses chez ceux capables d'analyser. Pour cela il faut de la curiosité (et non des journalistes blasés de tout)
Puis il faut de la générosité : avoir envie de partager.
De partager au mieux, le plus efficacement possible. On peut avoir trouver les meilleurs analystes, si on ne sait pas comment transmettre leurs savoirs efficacement, notre travail est incomplet – inutile.
Au fil du temps, et de longues années de gestion d'équipes j'en suis venu pour ma part à mettre en avant ces deux critères et deux seulement quand je recrute un journaliste professionnel : est-il ou est-elle vraiment curieuse ? Est-il ou est-elle vraiment généreuse ?
Curiosité et générosité, c'est aussi l'état d'esprit de Cap Sciences, et je le sais bien, celui d'Educavox."
Dernière modification le samedi, 16 juin 2018