Huit semaines passées de continuité pédagogique et l’envie de partager quelques observations après avoir mené une petite enquête écrite et orale auprès des parents et élèves de ma classe de CM2.
D’après ce que j’observe, la fracture numérique ne concerne pas seulement le manque de matériel informatique dans les foyers. Elle s’étend aux habitudes des familles et des élèves, aux usages de ce matériel et concerne également les possibilités d’accès à internet en termes de débit.
Cela pose plusieurs questions :
- Celle de l’adaptation des moyens proposés au plus près possible des possibilités des familles et pour cela la nécessité d’obtenir leurs retours non seulement en termes de matériel mais également de pratiques.
- Celle aussi de garantir à chaque famille la possibilité d’une connexion correcte à internet, qu’elle passe par un réseau câblé (téléphonique ou fibre) ou par réseau téléphonique 4G.
- En classe apparaît un enjeu : celui de développer les compétences numériques de nos élèves, selon les moyens de nos établissements et les connaissances des enseignants, avant les situations de crise afin que les élèves soient capables de les mettre en œuvre à distance.
Face à cette « fracture numérique » et dans l’urgence d’un contact indispensable avec les familles, il a fallu trouver des solutions. On pourra nous reprocher, dans certains cas, la non-conformité au RGPD ou un manque de validation institutionnelle.
Mais, face à cette situation nouvelle qui nous a demandé une adaptation immédiate selon nos propres connaissances et compétences, nous avons dû agir et répondre au mieux de nos possibilités. Faire un bilan rapide des outils connus, les mettre en œuvre et les confronter à la réalité des pratiques individuelles ou de masse. S’adapter à leurs limites. Parfois, trouver d’autres outils et pour cela, effectuer des recherches ou échanger avec les collègues sur les réseaux sociaux. De ce que j’ai pu observer, ceux-ci ont permis de mettre en lien différents acteurs à tous les niveaux de l’institution et de partager les ressources.
Cependant, il a aussi parfois fallu s’éloigner d’un cadre établi dans une situation d’équilibre pour prendre le risque d’assurer cette continuité pédagogique selon la réalité des conditions humaines et matérielles des familles.
Sans même parler de contenu pédagogique, voici un aperçu des moyens de communication et d’échange déployés dans ma classe tout au long de cette période et ajustés petit à petit en fonction des retours des familles.
1. Des moyens numériques
Cas de l’utilisation d’un ordinateur, d’un smartphone ou d’une tablette :
- L’application numérique choisie pour la classe, conforme au RGPD, est utilisée de manière régulière par 24 des 28 familles qui l’ont installée (sur 30). Elle est accessible sur smartphone et PC et permet d’insérer des liens vers des sites internet, des fichiers joints en plus de créer un cahier de vie pour la classe avec des photos. D’autres classes utilisent l’ENT de l’académie.
- Tous les parents de ma classe lisent leurs mails. Pour le savoir, il suffit d’utiliser des confirmations de lecture. L’idée n’est pas d’empiéter sur leur liberté personnelle d’ouvrir ou non un courriel mais d’avoir l’assurance d’une bonne transmission des informations pédagogiques et administratives pendant cette période.
Cas de l’utilisation d’un smartphone (ou d’une tablette) :
Sans données mobiles, avec un forfait téléphonique uniquement.
- Les appels téléphoniques permettent de prendre des nouvelles, de discuter avec les parents et les enfants, de résoudre des difficultés, de donner des « contrats de travail » et motiver les élèves qui ont du mal à travailler, sans l’enseignant, à distance.
- Si toutes les familles n’ont pas internet dans ma classe, toutes ont un abonnement téléphonique et c’est une CHANCE pour la continuité pédagogique car ils ont l’habitude de lire leurs SMS et d’échanger par ce biais. Cela offre aussi la possibilité d’envoyer des photos des activités / fichiers et d’en recevoir par MMS pour correction.
Avec un forfait internet.
- Messenger
C’est en discutant avec les parents dont la situation est la moins favorable que j’ai commencé à utiliser ces deux applications gratuites qui permettent à la fois de téléphoner, d’envoyer et de lire des fichiers et d’utiliser un mode visio afin d’assurer un suivi. L’interaction est plus orale qu’écrite mais il y a la possibilité pour l’élève comme pour l’enseignante de montrer à la caméra ce qui a été écrit (j’utilise de mon côté de nombreux post-it).
Comme le forfait internet est souvent lié au téléphone du parent, les appels en visio ont lieu le soir quand les parents rentrent du travail, pour ceux qui ont travaillé pendant le confinement.
2. Mais aussi d’autres moyens de communication et d’échange :
- Comme dans beaucoup d’écoles, un système de permanences a été mis en place et proposé aux familles afin de proposer le suivi en format papier (selon des précautions sanitaires).
- Le partenariat avec La Poste (voire les services de gendarmerie ou police dans certains départements) a permis d’assurer une circulation de documents papier entre l’école et les familles ou une possible livraison de matériel informatique à l’échelle de la circonscription.
Ce tour d’horizon des pratiques des familles de ma classe ne prétend pas être exhaustif ni, bien sûr, valoir pour tous. Ce que je retiens avant tout n’est ni la prolifération des plateformes et outils qui existent mais trois choses.
Dernière modification le lundi, 14 mars 2022La première est qu’une des conditions de la mise en œuvre de la continuité pédagogique est, selon moi, l’établissement d’un lien durable avec les familles et par lien, j’entends échanges à double-sens. En effet, c’est grâce aux nombreux retours des familles que je parviens à faire évoluer petit à petit ce que je propose à distance.
La seconde est que, dans une certaine mesure, il existe des moyens de contourner la fracture numérique en proposant des moyens de communication diversifiés (sans excès) afin d’approcher au mieux les pratiques réelles des familles. Ce qui ne signifie évidemment pas qu’il ne faut pas chercher à réduire cette fracture.
La troisième est que faire « l’école à distance » ne fait pas partie de notre formation d’enseignant et peut-être même pas de notre conception du métier. Si la période est perçue de manière différente selon les personnalités, dans tous les cas, elle n’est pas facile. Merci donc à tous les enseignants !