Deux modèles parallèles
Actuellement, la Belgique est l’un des rares systèmes éducatifs européens où la formation des enseignants se déroule hors université, dans les hautes écoles pédagogiques. Celles-ci accueillent les futurs enseignants des sections 1 à 3 – maternelle, primaire et secondaire inférieur (l’équivalent du collège en France). Seuls les enseignants de la section 4 (secondaire supérieur, équivalent du lycée) suivent un cursus universitaire à l’université. Les cursus sont relativement courts – 180 crédits, soit 3 ans, pour les sections 1 à 3 en HEP, 30 crédits pour la formation pédagogique ou didactique de la section 4 à l’université.
Selon le niveau auquel les enseignants se destinent, le modèle de formation est différent : pour les sections 1 à 3, les enseignants se forment en parallèle sur le plan des contenus disciplinaires et sur le plan de la pédagogie et de la didactique. Pour la section 4, en revanche, les étudiants doivent valider un master disciplinaire (par exemple en sciences mathématiques ou en langues germaniques) avant de suivre un cursus pédagogique de 30 crédits.
Dès les années 2000, le monde de l’école s’accordait largement pour considérer que la nature et la longueur de la formation des enseignants étaient inadéquates pour faire face à un métier de plus en plus complexe. La nécessité d’une réforme, sur le principe, était soutenue par les différents partis politiques, les syndicats, les associations de parents, et les opérateurs de formation. Une large consultation avait de son côté mis en évidence le profond malaise des enseignants. Par ailleurs, les nombreuses sorties de métier précoces et une pénurie de personnel qualifié rendaient pressante la nécessité d’agir.
Des synergies en vue
La réforme entérinée en 2019 entend revaloriser le métier, y attirer de nouveaux étudiants et professionnaliser les cursus. Elle s’adosse au principe qu’il s’agit d’un métier unique, et qu’en conséquence, la formation doit présenter davantage de cohérence entre niveaux et opérateurs de formation.
Elle s’articule autour de quatre grands points :
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renforcer la formation en allongeant la durée des études ;
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harmoniser les modèles en accentuant notamment la formation pratique des futurs enseignants formés à l’université et en intensifiant la formation à la recherche des étudiants formés en HEP ;
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créer davantage de synergies entre les niveaux d’enseignement et faciliter ainsi les transitions entre la maternelle et le primaire, le primaire et le secondaire ;
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instaurer des collaborations entre les différents types d’instituts de formation, universitaires et non universitaires.
Animée du souhait de rehausser le degré de qualification des enseignants, la Communauté française a opté pour un compromis original, en instaurant un système de codiplômation généralisé entre les HEP et les Universités. Chacun des opérateurs historiques devra désormais collaborer avec l’autre. Les universités étant moins nombreuses que les HEP, chaque université sera appelée à travailler, selon les cas, avec trois à six HEP différentes.
Un éventail de formations plus large
Concrètement, les étudiants des sections 1 à 3 qui auparavant étaient formés en trois ans en HEP devront à l’avenir se former en quatre ans et pourront suivre une année facultative de spécialisation dans différents domaines. Les étudiants de la section 4 se destinant à enseigner au niveau du secondaire supérieur (lycée) pourront choisir une formation à l’enseignement dès leur première année à l’université (modèle simultané), ce qui n’est pas le cas aujourd’hui où la formation à l’enseignement démarre au plus tôt en master (soit la quatrième année en Belgique) ou se fait en différé (après la cinquième année).
Le système actuel (modèle consécutif ou différé) sera toutefois maintenu en parallèle, laissant aux étudiants le choix du moment où ils se décident à se former pour devenir enseignants. Leur formation pédagogique et didactique sera cependant renforcée, en particulier dans la formation différée (appelée « master en agrégation ») dont le nombre de crédits sera porté de 30 à 60. Une partie de la formation de ces étudiants universitaires sera désormais confiée aux HEP.
En toute logique, les enseignants qui effectueront des études plus longues bénéficieront de barèmes supérieurs au barème actuel. Ces barèmes ne sont pas encore connus ; ils doivent faire l’objet d’une négociation entre partenaires sociaux. Il est aisé de deviner que la tension entre les barèmes constituera un incitant plus ou moins fort à entreprendre l’année de spécialisation facultative.
Un changement culturel
Les dernières réformes n’avaient introduit que des changements cosmétiques, ne remettant en cause ni les modèles ni les contenus de formation et encore moins la division historique entre les deux grands opérateurs de formation, les hautes écoles pédagogiques et l’université. La réforme de 2019 a eu l’audace de mettre un grand coup de balai, de poser des questions de fond et de bousculer les habitudes.
À l’heure où la réforme doit se mettre en œuvre (pour un démarrage en 2020-2021), les défis et les périls sont à la hauteur des ambitions. Il y a là en effet de sacrés paris sur la capacité des acteurs de la formation des enseignants de changer leurs habitudes et de se jouer des contraintes dans un dispositif institutionnel d’une rare complexité.
Les professeurs en charge de la formation des enseignants en HEP et à l’université évoluent dans des contextes différents, avec des statuts et des fonctionnements différents, enseignent à des étudiants qui ont des profils parfois radicalement opposés. Les hiérarchies symboliques sont bien présentes, et s’appuient sur des représentations parfois erronées du partenaire. Le simple fait de comprendre le fonctionnement du partenaire, de parler un langage commun et de dépasser la méfiance réciproque prendra du temps.
La pénurie d’enseignants en arrière-plan
Vu l’allongement des études et le fait qu’une partie de la formation sera désormais universitaire, ceci aura inévitablement un impact sur le nombre et le profil des futurs candidats enseignants. Pour n’en prendre qu’un exemple, 75 % des futures institutrices maternelles dans les HEP sont aujourd’hui issues de l’enseignement secondaire de qualification, qui est un enseignement de type professionnel (soins aux personnes, nursing…).
Les étudiantes présentant ce type de profil seront-elles effrayées par la perspective d’études plus longues et perçues – à tort ou à raison – comme plus difficiles ou plus théoriques ? Nul ne le sait. Pareillement, il est impossible d’estimer combien d’étudiants souhaitant devenir enseignants dans le secondaire feront le choix d’entamer leurs études dès le bachelier en HEP ou à l’université, puisque cette possibilité s’offre désormais à eux. Les HEP et les universités doivent donc configurer des cursus, décider de les ouvrir ou pas, sans connaître le nombre d’étudiants que cela pourrait intéresser.
Raisonner avec autant d’inconnues ne constituerait qu’un simple inconfort si, en embuscade, ne se profilait le spectre d’une aggravation de la pénurie d’enseignants, déjà bien réelle en Communauté française de Belgique. Inévitablement, lorsque s’ouvrira pour la première fois la quatrième année obligatoire, très peu d’enseignants seront diplômés. Par contre, si la formation se révèle bénéfique à moyen terme, la pénurie pourrait diminuer si moins d’enseignants quittent le métier dans les cinq premières années.
Enfin, et ce n’est pas le moindre des défis, alors qu’il aura fallu au Gouvernement actuel six ans pour concevoir et faire aboutir le projet de réforme, les établissements en charge de la formation des enseignants ont à peine un an et demi devant eux pour mettre en musique un projet de co-formation qui, à pas mal d’égards, apparaît comme une révolution.
Professeure en sciences de l'éducation, Université de Liège
Dernière modification le vendredi, 03 mai 2019