C’est, en substance, l’une des thèses de la sociologue Hélène Pétry qui s’est intéressée aux sociabilités numériques des lycéens de la région parisienne et de Rio de Janeiro, au Brésil. Des jeunes séparés par un océan mais aux pratiques finalement pas si éloignées.
Entre les deux agglomérations, malgré d’évidentes différences urbaines – force d’attraction du centre de Paris sur l’Île-de-France, quartiers populaires imbriqués dans le tissu urbain à Rio – et culturelles – poids des relations à l’intérieur de la famille brésilienne plus ou moins élargie (grands-parents, oncles, tantes…) avec laquelle les jeunes cohabitent l’essentiel de leur journée, importance du groupe de lycéens franciliens – on assiste à une certaine globalisation des styles de vie des adolescents des grands centres urbains, les lycéens partageant notamment le même goût pour les nouvelles technologies.
À Paris ou Rio, les ados issus de milieux défavorisés vivant en zones urbaines sont plus équipés que la moyenne. Téléphones mobiles, smartphones, MP3, ordinateurs portables, consoles de jeux : ils ont tout, ou presque. Mais qu’en faire ?
Autonomie et solidarité
À Paris, les lycéens trouvent d’abord dans ces nouvelles technologies un facilitateur de sortie entre adolescents, un moyen de maintenir le lien et d’organiser leur présence à l’autre : en allant à Châtelet, à la piscine, au cinéma, en prenant le bus ensemble… avant de prévenir les parents et les rassurer d’un simple SMS. Demander l’autorisation, prévenir de ses déplacements, être joignable sur son portable favorise ainsi la mobilité des lycéens franciliens. Hélène Pétry voit là « une logique d’autorité ou de responsabilité parentale ». En effet, « loin de se substituer aux rencontres en présence, les communications les favorisent en multipliant les contacts et en facilitant l’organisation des déplacements ».
Via les MMS, les SMS et les réseaux sociaux, les NTIC servent aussi aux ados à transformer le « temps perdu » – notamment les temps de transport – en temps partagés entre amis. C’est d’ailleurs l’une des vertus des NTIC, comme l’ont montré les sociologues Dominique Cardon, Zbigniew Smoreda et Valérie Beaudouin, de permettre de réintroduire de la sociabilité dans des espaces qui en étaient a priori dépourvus.
Pratique différente au Brésil où SMS et téléphones mobiles sont finalement assez peu utilisés pour demander des bons de sortie ou rassurer les parents dans la mesure où la liberté de mouvement est acquise assez tôt. On assiste plutôt à ce qu’Hélène Pétry définit comme « une logique de solidarité familiale » à travers des petits services rendus par l’intermédiaire de déplacements proches dans la favela. Les NTIC servent ici avant tout aux jeunes à remplir leur rôle au sein de la famille.
Explorer l’espace
Communications entre « pairs » lycéens d’un côté, avec la famille de l’autre confirment, à l’instar des travaux de Nicholas Christakis et James Fowler, que les télécommunications s’effectuent d’abord avec les personnes proches, celles que l’on voit le plus souvent.
Que ce soit dans une logique d’autorité ou une logique de solidarité familiale, les sociabilités numériques s’inscrivent d’abord dans les pratiques de socialisations déjà existantes. « Elles les transforment aussi » précise Hélène Pétry. « Ainsi, le groupe d’ados soudés des Franciliens gagne en autonomie et en mobilité, tandis que la solidarité familiale des Cariocas devient plus compatible avec les loisirs des adolescents ». Avant de conclure qu’à Rio ou Paris « le lien numérique semble encourager l’exploration de l’espace par les adolescents en agissant comme une longue amarre les rattachant à leurs parents ».