fil-educavox-color1

Médiateur professionnel spécialisé dans les questions environnementales, Jacques Bénard est un fin connaisseur des processus qui peuvent amener à une négociation fructueuse entre des parties prenantes aux objectifs pourtant considérés parfois comme irréconciliables. Fort de son expérience dans un domaine en plein essor et de mieux en mieux identifié par le grand public, il enseigne à l’université de Sherbrooke (Québec).

La question environnementale s’impose comme une des principales préoccupations des Français. De nombreux conflits voient le jour en la matière. Implantation d’un parc éolien, nouvelle infrastructure routière, extension d’un aéroport, des projets de nature très diverse peuvent désormais faire l’objet de tensions et de contestations avec des conséquences environnementales évaluées aussi précisément que différemment par les acteurs. Jacques Bénard développe l'importance de la médiation pour ces questions en amont du congrés des médiations qui a eu lieu à Angers du 5 au 7 octobre

En quoi la médiation répond-t-elle aux enjeux environnementaux ?

Tout médiateur intervient en qualité de tiers neutre pour tenter de régler des différends. Ces derniers peuvent porter sur des projets ou des politiques liés à l’environnement, à nos écosystèmes et à l’aménagement du territoire.

Dans le cadre de la médiation environnementale, il faut impérativement tenir compte des incidences des décisions sur les espaces naturels et sur les personnes qui, sans prendre part à ce processus, en sont néan-
moins affectées. L’objectif du médiateur reste de permettre aux parties prenantes de trouver des solutions mutuellement acceptables.

La plupart des dossiers ont trait à des projets de développement comme la construction d’infrastructures, la production d’énergie ou encore l’exploitation de ressources naturelles. Concrè tement, il peut s’agir par exemple d’une ligne à haute tension, de parcs éoliens et solaires ou de problèmes liés à l’aménagement du territoire et au besoin de contenir l’étalement urbain. Sur ces sujets, les parties prenantes ont souvent des vi sions divergentes au plan économique, social ou environnemental.

La médiation environnementale a d’abord émergé aux Etats-Unis vers la fin des années 1970. Les pays anglo-saxons font alors figure de moteur avant que le mouvement essaime en Europe, notamment en France où les pratiques sont en cours de structuration. Cette émergence suit une évolution de la société marquée par un intérêt croissant pour les questions environnementales. Les gens sont beaucoup plus sensibles aux conséquences des projets sur l’environnement. Depuis une trentaine d’années, on assiste à un mouvement de fond avec une plus grande participation des citoyens dans la prise de décision. C’est ce contexte de débats plus inclusifs conjugué à une plus grande sensibilité aux enjeux environnementaux qui explique cette
tendance de fond.

Quelles sont les spécificités propres à ce type de médiation ?

Il faut comprendre que quelle que soit la nature du projet – même ceux qui achent une dimension vertueuse – il y a toujours un impact sur l’environnement. A titre d’exemple, et quoi qu’on en pense, les éoliennes suscitent un débat passionné, notamment parce qu’elles modifient grandement les paysages. Ainsi, la médiation énergétique ne concerne pas seulement les projets dits « polluants » mais aussi les énergies renouvelables.

La médiation est possible dès lors qu’il y a la volonté des différentes parties de résoudre un conflit par la voie de la négociation. Appliqué à l’environnement, le processus implique une grande diversité des acteurs. La multiplicité des parties prenantes rend la médiation d’autant plus dicile et complexe. La population, les riverains, les pouvoirs publics, les entreprises, les associations et ONG peuvent avoir des intérêts légitimes à défendre.

Il en ressort une difficulté à identifier tous les acteurs et à réunir leurs représentants au sein d’une même
négociation. Une fois les acteurs autour de la table, il convient alors de distinguer clairement la médiation en vironnementale de la consultation publique, laquelle ré pond à des caractéristiques réglementaires précises et
s’adresse, elle, à l’ensemble de la population. Dans le cas de l’implantation d’une infrastructure, les acteurs sont très nombreux : le promoteur du projet, les collectivités territoriales, les pouvoirs publics, les riverains, les associations environnementales, des groupes économiques, les sous-traitants potentiels.

Au milieu de ces contraintes, la médiation est un processus créatif !

On ne peut pas toujours savoir, anticiper ce qui va être arrêté. Parfois, on découvre des opportunités qui se dessinent alors qu’elles étaient complètement invisibles au départ. La médiation environnementale nécessite que les parties prenantes fassent l’effort de s’ouvrir au point de vue de l’autre afin de passer des positions aux intérêts. Le passage du « je veux » à « qu’est-ce qui est important pour moi ? » donne des gages de réussite. Les gens ont plus intérêt à trouver une solution ensemble qu’à s’en remettre à une décision imposée de l’extérieur comme le politique ou la justice. Il arrive aussi que la question des « valeurs » bloque le processus en premier lieu. Afin de passer par-dessus ces blocages, il est nécessaire d’intégrer ces valeurs dans une réflexion pragmatique.

Quelles sont les perspectives de développement de la médiation environnementale ?

La médiation peut mettre fin à des conflits qui ne se résoudront pas par le débat public.

C’est un dispositif additionnel qui peut aider à dissoudre des conflits autrement que par la voie judiciaire ou administrative. L’objectif est de faire entrer la médiation dans les mœurs et de l’utiliser beaucoup plus souvent quand elle est pertinente. La médiation environnementale n’est pas forcément moins longue et coûteuse que la juridic tion, mais elle est bien plus efficace. En effet, l’approche est beaucoup plus intéressante, car contrairement aux tribunaux qui tranchent un point de droit, la médiation prend en compte tous les aspects. C’est une approche sur-mesure qui va conjuguer une multitude de fac teurs propres à chaque situation. Ainsi, si la médiation environnementale reste encore discrète, il y a un essor indiscutable du fait du développement des conflits.

Lorsque les gens sont motivés, cela fonctionne bien. C’est une réelle chance à l’heure où les conflits environnementaux ne cessent d’augmenter non seulement en nombre mais aussi et surtout en intensité. Les décideurs et citoyens ont tout intérêt à faire confiance à ce type de mécanisme. Il n’y a pas de plus grande satisfaction que de voir une fenêtre d’opportunité s’ouvrir et de trouver, par le dialogue, une issue à un conflit parfois vieux de plusieurs décennies.

Jacques Bénard

 
Dernière modification le vendredi, 25 novembre 2022
An@é

L’association An@é, fondée en 1996, à l’initiative de la création d’Educavox en 2010, en assure de manière bénévole la veille et la ligne éditoriale, publie articles et reportages, crée des événements, valorise les innovations, alimente des débats avec les différents acteurs de l’éducation sur l’évolution des pratiques éducatives, sociales et culturelles à l’ère du numérique. Educavox est un média contributif. Nous contacter.