A l’ère du numérique, où l’intérêt du travail collaboratif pour conduire des projets complexes est réel, des praticiens-formateurs et chercheurs questionneront ces « savoir-agir collaboratifs » et les pratiques de formation qui les développent.
Voici quelques éléments, en contribution au débat
L’atelier fera ensuite une large place à la contribution des participants
L’atelier « Former aux compétences collaboratives, pourquoi, comment ? » va examiner différentes facettes des compétences collaboratives. Collaborer ou coopérer [1], c’est à dire travailler conjointement avec les autres, n’est pas nouveau mais dans une société où le numérique favorise la coopération et les échanges de pair à pair, ce savoir-agir collectif prend une ampleur et un sens élargi.
Nous assistons au développement des pratiques collaboratives qui concernent le financement, le management, l’apprentissage et la recherche, l’animation et font émerger de nouveaux modèles économiques, éducatif, de gouvernance.
Mais le savoir coopérer ne vient pas« naturellement » en mettant simplement les personnes à travailler ensemble. Pour les praticiens des projets collaboratifs et les scientifiques la coopération et /ou la collaboration sans préparation peuvent être un échec et une déception. Il s’agit d’un savoir-agir qui s’apprend, d’où la question : comment former à la collaboration ? Et par ricochet, quels sont les savoirs-faire à acquérir pour se lancer dans ce mode de travail collectif ?
Pour s’alimenter en pistes de réflexion, nous avons interrogé quelques formateurs et praticiens des projets collaboratifs pour identifier deux facettes de la collaboration :
le trait caractéristique : quelle est la compétence essentielle pour coopérer ?
le manière de « former à la coopération ou la pratiquer : former à quoi, faire comment, ce qui serait à faire mieux ?
S’il y avait une compétence collaborative plus importante que d’autres....
Les compétences citées sont d’ordres différents.
Pour certaines elles concernent avant tout, les attitudes personnelles à savoir :
- être bienveillant,
- être attentif à,
- être à l’écoute des personnes, mais aussi des opportunités,
- savoir prendre du recul.
D’autres sont liées aux caractéristique des collectifs :
- être visible, au sens de rendre lisible des lieux d’investissement
- être accessible, ce qui s’associe à l’ouverture : « il faut que n’importe qui puisse venir »
Il y a celles qui concernent l’amont :
- Savoir pourquoi coopérer au niveau de la structure, mais aussi au niveaux du projet politique, savoir évaluer quand la collaboration est efficace ou pas, avoir l’esprit d’analyse,
et celles relatives au processus :
- poser des règles,
- valoriser et soutenir les envies de faire,
- animer des groupes,
- connaître les outils qui facilitent le partage des informations,
- savoir former les autres.
Dans cette courte liste, on observe déjà plusieurs facettes de la question des compétences collaboratives : elles sont à la fois personnelles et collectives.
Elles concernent la manière de créer les liens (faire un collectif), mais aussi la manière de produire. En tant que « la manière de produire », elle peuvent être jugées plus efficaces et plus plus riches à condition qu’on sache évaluer leur pertinence dans un contexte donné. En tant que « manière de créer des liens » elles soulèvent la question des choix sociétaux et politiques qui sont les questions complexes à traiter collectivement.
Dans ces deux cas, la place de l’animation du travail collaboratif est essentielle : les compétences évoquées touchent la fonction de l’animateur (« être à l’écoute », « attentif à », « animer un collectif »), de coordinateur (évaluer les contexte, poser les règles), de leader (savoir pourquoi coopérer, valoriser et soutenir les envies de faire).
Les compétences collaboratives sont aussi fortement liées au contexte : relations directes ou groupes à distance ; dans un petit groupe de personnes qui se connaissent bien ou dans des collectifs éphémères de tailles plus ou moins importantes.
Comment former à la collaboration ?
La coopération prend sens dans un échange entre personnes qui choisissent de le faire librement. Cette libre implication nécessite un climat de confiance. Savoir créer la confiance » ne s’apprend pas comme un savoir « scolaire ». Les témoignages de trois formateurs rendent compte de différents aspects « vitaux » qui sont traitées en formation :
Une manière « pragmatique » :
- vivre une expérience irréversible de la coopération (l’envie de )
- apprendre à animer (la méthodologie)
- outiller pour travailler collectivement (les outils à ).
Une manière qui croise la recherche du sens avec le savoir-faire pratique :
- savoir pourquoi coopérer à différents niveaux : dans et entre les structures, dans nos sociétés
* en faisant coproduire les stagiaires
* en plaçant les productions comme du bien commun (licence libre).- savoir utiliser au moins un outil collaboratif
* en pratiquant en présence, et rendant les stagiaires en capacité d’utiliser à fond au moins un outil collaboratif même très simple. C’est le premier pas vers plein d’autres.
Une manière « globale » qui prend en compte l’ensemble d’un processus de coopération
- se connaître, se comprendre (être apte à coopérer),
- prise de parole en public (s’exprimer),
- créativité (s’adapter),
- méthodes d’animation de réunions /ateliers / événements (s’outiller),
- métacoopération à travers la concertation (savoir gérer des situations collectives complexes).
Ces multiples manières de former à la coopération ont en commun une modalité de formation-action.
De même les animateurs de projets collaboratifs évoquent une transmission de savoirs-faire au cours de la mise en œuvre de leurs projets. La formation à la collaboration se fait alors par les activités bien choisies, et en même temps, le travail coopératif s’accompagne de la formation mutuelle des acteurs.
Il nous semble que les compétences collaboratives couvrent une quantité de savoirs nuancés, difficilement transmissibles par des apports théoriques ou réflexifs. Elles se vivent, se pratiquent dans le faire avec les autres. Le savoir-agir collaboratif s’apprend réellement dans l’apprentissage de soi, dans la possibilité de se relier aux autres par l’ajustement permanent.
Compétences collaboratives dans la littérature
Parallèlement à cette collecte de témoignage, la revue de littérature sur les compétences collaboratives permet de dégager d’autres points de réflexion.
Voici trois exemples qui illustrent trois dimensions de la notion de « compétences collaborative ».
Les compétences, classées par « domaines »
La typologie élaborée par le Réseau Universitaire pour la Gouvernance Collaborative (UNCG)2 » propose cinq domaines de compétences collaboratives :
Leadership et management :
- Renforcer le leadership collaboratif
- Planification, organisation et gestion de collaboration
Dynamique du processus de groupes :
- Communiquer efficacement
- Travailler en équipe et l’animation de groupes
Compétences analytiques :
- Appliquer les capacité d’analyse et la réflexion stratégique
- Élaborer des processus d’évaluation et d’adaptation
Gestion de connaissances
- Intégrer Information scientifique et technique
- Utiliser des technologies d’information et de communication
Responsabilité professionnelle
- Maintenir la responsabilité professionnelle et éthique professionnelle
Cette typologie concentrée sur les « contenus » des compétences à acquérir (leur nature) est la plus fréquente dans la littérature.
Les compétences, classées par « la taille de groupes »
Les auteurs identifient quatre niveaux de collectifs avec différent items et concepts.
Niveau personnel :
- Qualités relationnelles avec les dominantes : confiance, engagement et satisfaction
Niveau « pair à pair » :
- Partenariat
- Déterminantes des orientations à long terme
- Capacité de coopérer
- Capital relationnelle
Niveau « équipes » :
- Compétences collectives de résolution de problème
Niveau « organisations » :
- Intégration de la coopération
- Travail en réseau
- Alliances
- La nature des liens que les acteurs tissent, et en conséquence de modes collaboratifs seraient différents selon ces contextes (schéma 1).Schéma 1 : Différents niveaux d’interactions dans des dynamiques collaboratives(A partir de Morse & Stephens 2012, p. 572)
Cette distinction des compétences collaboratives selon la taille de groupe est également utilisée par des concepteurs de la formation Animacoop largement décrite et présentée lors du précèdent forum des usages.3
A cette logique de classification, on pourrait associer la notion de « structure » de la collaboration.
Les compétences, classées par les étapes d’un processus
Un troisième exemple de cadre de références est celui des universitaires nord-américaines Morse & Stephens (2012) qui identifient les étapes du processus de la gouvernance collaborative. Ils analysent ensuite plusieurs grilles de compétences collaboratives issues des travaux universitaires et professionnels, puis, les inscrivent dans le processus de la gouvernance identifié. (tableau 1 ).
- Tableau 1 : Compétences collaboratives inscrites dans le processus de la gouvernance
- (A partir de Morse & Stephens 2012, p. 572)
L’intérêt de cette présentation réside dans le fait que les compétences collaboratives sont traitées comme des savoir-agir adaptables à la dynamique du processus dans lequel elles s’exercent. Dans d’autres contextes - la pratique d’apprentissage collaborative par exemple- les « compétences collaboratives » mises en exergue seraient différentes.
En guise de conclusion :
Cette triple perspective de la notion de « compétences collaboratives : « contenus », « structure », « processus » croisée avec les expériences des formateurs et des praticiens des projets projets collaboratifs peut se discuter, s’enrichir mutuellement. Ce qui semble déjà intéressant c’est l’exploration d’un modèle d’analyse mufti-niveaux dans la construction du référentiel de compétences. On pourrait défendre l’idée non d’un référentiel des compétences collaboratives le plus pertinent mais des référentiels modulables. Ils seraient construits à partir d’un ensemble de contenus, identifiés dans des pratiques et des écrits existants et ouverts aux nouveaux apports mais adaptés aux tailles des projets de groupes ;dans lesquels un processus de production spécifique s’exerce.
Les références citées :
- Blomqvist, K., Levy, J. (2006). Collaboration capability –a focal concept in knowledge creation and collaborative innovation in networks. International Journal of Management Concepts and Philosophy, 2 (2), 31–48.
- Déjours, C. (1993). Coopération et construction de l’identité en situation de travail. Multitudes, 2.article en ligne (consulté en février 2014)
- Morse, R. S. (2008). Developing public leaders in an age of collaborative governance. In R. S. Morse & T. F. Buss (Eds.), Innovations in public leadership development (pp. 79–100). Armonk, NY : M.E. Sharpe.
- Morse, R. S., & Stephens, J. B. (2012). Teaching Collaborative Governance : phases, competencies, and Case-Based Learning. Journal of Public Affairs Education, 18 (3), 565–584.
[1] Malgré la différence nuancée de ces deux verbes, nous les utilisons ici au sens « large » et donc synonymique. Dans d’autre articles, ce sens est distingué plus en détails : Coopération ou collaboration, quelle différence ?