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Alors que l’orientation à la fin du collège reste une bifurcation forte dans notre système, confirmée récemment par le rapport de la Cour des comptes[1], le Ministère vient de mettre à jour sa page consacrée à l’orientation en 3e et l’affectation en lycée[2]. Une bonne occasion d’examiner ce discours qui utilise des procédés d’édulcoration afin, sans doute, de faire passer la pilule.

De l’orientation inégalitaire à l’orientation facile

Dans un éditorial pour le CICUR[3], nous rappelions que « Sur le temps long de l’histoire de notre système scolaire, l’orientation en fin de collège reste un moment de bifurcation fort. » Et nous terminions par une interrogation « Comment peut-on encore accepter que tant d’incertitudes soient toujours aussi déterminantes ?» Nous ne sommes pas seuls à nous interroger sur cette particularité de notre système scolaire. De nombreuses recherches pointent la séparation de la population scolaire par le fonctionnement de l’orientation[4] et qui font le constat qu’à résultats scolaires équivalents, les parcours scolaires seront différents selon le genre, le milieu social ou le territoire de vie.

Dans ce contexte difficile, il est intéressant d’observer comment le Ministère présente au public les procédures d’orientation et d’affectation. Une première lecture de cette page nous a surpris. L’impression générale produite pourrait se résumer en une phrase : l’orientation c’est facile. Mais comment cette impression est produite ? Par des procédés linguistiques d’édulcoration[5] que nous allons essayer de repérer.

Quelques remarques générales

La page est constituée de cinq parties.

Le Calendrier de… l’affectation et non de l’ensemble des étapes de l’année. On présente ainsi le but. À noter l’absence du terme de procédures ou de réglementation dans l’ensemble de la page.

Préparer son orientation après la 3e : le service en ligne Orientation. Avec une vidéo puis un texte reprenant le contenu de la vidéo en précisant.

Les étapes du projet d’orientation. Avec une iconographie, puis également un texte.

L’affectation des élèves : les réponses à vos questions. Permettant de consulter seulement les réponses qui intéressent le visiteur.

Des ressources. Renvoyant au site de l’ONISEP et la liste des textes officiels.

C’est donc une page qui prévoie des modalités différentes de lectures.

Le rôle du pavé d’introduction

Sur le haut des pages du site du ministère, il y a toujours un pavé contenant un résumé servant de présentation de la page. Mais ici ce pavé a une autre fonction.

Il se présente comme un descriptif de différentes activités. Apparemment, rien de particulier si ce n’est que l’ensemble de ces activités sont attribuées à l’élève et à un sujet encore indéterminé dans ce texte, mais qui sera sans doute la famille. L’administration, le chef d’établissement, le conseil de classe, les enseignants, etc., ne sont pas désignés, ce qui permet de commencer par l’installation de la responsabilité de l’orientation du côté de l’élève et sans doute de sa famille.

Ajoutons que ce pavé est inséré dans une image comportant quatre adolescents, très souriants, l’absence d’adultes renforçant cette attribution de la responsabilité par le texte.

Une vidéo

La deuxième partie de la page s’intitule : Préparer son orientation après la 3e : le service en ligne Orientation.

« Préparer son orientation » confirme la responsabilité avec toutefois une ambiguïté. Qui prépare qui ? Est-ce l’élève lui-même qui prépare son orientation ou les parents, invités à préparer l’orientation de leur enfant ? Mais l’ambiguïté ne s’arrête pas là. Ainsi, que désigne le terme « orientation » ? Le processus d’élaboration d’un projet, la place que l’on veut occuper dans le système l’année prochaine, les étapes administratives pour formuler une demande ? Enfin, remarquons l’utilisation du verbe « préparer ». Globalement neutre et positif, il suppose une démarche progressive qui se déroule dans une temporalité tournée vers l’avenir dans le but de réussir quelque chose. Que du positif !

Et cette partie s’ouvre sur une vidéo, de 5 minutes, intitulée « Poursuite d’études après la 3e : suivez le guide ». On a ainsi une équivalence posée entre « orientation » (on se demandait ce qui était désigné) et « poursuite d’études ».

La voix off de cette animation est féminine. Elle commence par une séquence comparative entre avant et maintenant. Avant c’était compliqué, une longue liste de ce qu’il fallait faire physiquement. Maintenant c’est dématérialisé grâce à la plateforme. Il y a « juste 4 étapes à suivre en ligne ». Et si ça ne suffit pas, elle affirme : « Vous allez voir, c’est très simple. »  Jusque-là, la voix décrivait, racontait, mais, pour la présentation de la plateforme, une autre forme d’énonciation est prise jusqu’à la fin de l’animation. Elle ne décrit plus ce qu’il fallait faire, elle fait ce qu’il faut faire : « Je fais ceci, je fais cela… ». Ce « Je » permet à l’auditeur de s’identifier, alors que la description le maintenait en dehors de l’action, il se trouve introduit dans la manipulation de la plateforme par ce « je » identificatoire.

Mais qui est ce « je » ? Il y a un doute, est-ce l’élève lui-même ou ses parents ?

À la vidéo succède un texte reprenant le contenu de la vidéo sous une autre forme langagière.

L’utilisation de la plateforme se fait en quatre étapes ayant des fonctions différentes et devant suivre un ordre temporel précis :

Étape 1, découvrir les formations
Étape 2, formuler des demandes
Étape 3, le traitement des demandes, la transmission.
Et le doute sur le statut de l’utilisateur est seulement levé à la dernière étape :
Étape 4, consultation de « mes demandes », et « Je peux inscrire mon enfant ». Enfin, on sait à qui s’adresse cette page.

Les étapes du projet d’orientation

Cette partie de la page commence par une longue iconographie qui sera suivie comme dans la partie précédente d’un texte explicitant le contenu de l’iconographie. On s’adresse cette fois-ci directement aux parents, l’iconographie commence ainsi.

On peut relever néanmoins une ambiguïté dans cette iconographie. Les trois étapes du projet d’orientation sont illustrées par des personnages dont le statut peut apparaître incertain au moins pour les deux premiers.

La réflexion  La mère, une enseignante, une élève ?

Le dialogue  Un enseignant, l’élève ?

Le choix  Peu d’interrogation, l’élève.

En tout cas le texte s’adresse clairement aux parents et, ainsi la réflexion, le dialogue et le choix, les trois étapes du projet, les concernent exclusivement. Les parents sont les acteurs. C’est eux qui s’informent, dialoguent, et choisissent pour leur enfant.

Quelques simplifications

Commençons par une réduction.

Dans cette séquence, ainsi que dans la précédente, la question de l’orientation est réduite au choix des études qui se dérouleront l’année prochaine. Techniquement, c’est juste, le choix d’orientation fin de troisième ne porte que sur l’année prochaine. Mais c’est l’histoire de la grenouille dans une casserole d’eau froide qui ne s’enfuit pas si on chauffe doucement[6]. Aucune évocation d’un lien entre ce choix et ses conséquences, beaucoup plus tard. On obtient ainsi une dédramatisation de l’orientation scolaire.

Le rôle du collectif

Dans l’iconographie, il est indiqué que « Le conseil de classe formule des avis provisoires d’orientation » et au troisième trimestre, Il formule également des propositions d’orientation. Cette attribution de responsabilité, formuler un avis, une proposition, à un sujet collectif est largement utilisée depuis très longtemps. Il permet d’installer un anonymat du décideur, et ainsi de lui attribuer une force. Une décision collective ne peut qu’être réfléchie et donc s’imposer comme juste.

Poursuivons par l’organisation du flou.

On prévoit néanmoins la possibilité d’un désaccord, et donc : « Dans le cas contraire, un entretien entre la famille, l’élève et le chef d’établissement est organisé. » Un entretien est organisé, mais par qui ? L’article D331-34, qui gère cette séquence des procédures, est ainsi rédigé :

« Lorsque les propositions ne sont pas conformes aux demandes, le chef d’établissement, ou son représentant, reçoit l’élève et ses parents ou l’élève majeur, afin de les informer des propositions du conseil de classe et de recueillir leurs observations. Le chef d’établissement présente, à cette occasion, les recommandations émises par le conseil de classe dans les conditions définies à l’article D. 331-32. » 

Ainsi, chaque désaccord constaté doit être suivi d’un entretien du chef d’établissement avec la famille et l’élève.

Mais dans l’iconographie, rien n’est dit sur ce qui peut ressortir de cet entretien. Nulle part n’est évoquée la décision d’orientation formulée et motivée par le chef d’établissement. Nulle part n’est également évoquée la possibilité de faire appel.

Des explications plus précises apparaissent seulement dans le texte qui suit l’iconographie, très simplificatrice. Apparait alors, et seulement alors, la décision d’orientation prise par le chef d’établissement. Sans préciser à partir de quoi cette décision est prise.

Dans le texte on trouve : « Si elle est différente du choix de l’élève : le chef d’établissement prend la décision définitive après un entretien avec la famille permettant de reprendre le dialogue. »

Et c’est la décision d’affectation qui est justifiée : « La décision d’affectation dans un lycée tient compte de la décision d’orientation, des vœux formulés et du nombre de places disponibles. »

Attribuer un but positif permet d’induire un mode de lecture. Ainsi, cette partie se termine par une présentation de l’application « Affelnet-lycée : l’application pour faciliter l’affectation des élèves au lycée». Une application pour faciliter l’affectation des élèves. On peut alors indiquer la liste des critères pris en compte dans l’application, puisque leur fonction est de faciliter. Ainsi « Le cumul de ces critères définit un nombre de points qui permet de départager de façon transparente et équitable les candidats à une même formation lorsque celle-ci reçoit plus de candidatures qu’elle n’offre de places. La procédure vise également à favoriser la mixité sociale dans les établissements. » Nous mettons en gras les objectifs positifs.

Et rappelons qu’il n’existe aucun recours pour remettre en question la décision d’affectation.

L’usage des verbes modaux

Alors que cette page présente le fonctionnement des procédures d’orientation et d’affectation (sans jamais les nommer comme telles) elle utilise dès la première phrase le terme de « démarches » qui, bien sûr, sont « « simplifiées », et « Le service en ligne est mis à la disposition des parents », il est « disposition ». Toute cette terminologie construit un monde, non pas celui de l’obligation administrative, car les familles dont les enfants sont scolarisés dans l’Éducation nationale ne peuvent que se soumettre à la réglementation, ils n’ont pas d’autre choix, mais un monde où l’EN est au service des familles. Et ceci est renforcé par l’utilisation des deux verbes modaux, pouvoir et devoir.

La tonalité permissive

On peut relever la multiplication de l’utilisation du verbe pouvoir dans le sens de « permission de faire » dans l’ensemble de la page et à toutes les étapes de la démarche.

On relève 13 occurrences et qui concernent tous les acteurs impliqués.

« Les établissements scolaires peuvent mettre à disposition »

« la famille peut demander un recours »

« Le maintien dans la classe d’origine : il peut être demandé par la famille »

« le directeur académique des services de l’Éducation nationale peut décider de prendre en compte »

« Si des places restent disponibles après l’affectation des élèves du secteur, il peut être dérogé »

« D’autres critères peuvent être pris en compte »

« les éléments entrant en compte dans le calcul des points et leur poids peuvent être adaptés »

« les résultats scolaires peuvent ne pas être pris en considération »

« Votre établissement scolaire peut vous informer »

« Le nombre de matières enseignées peut varier »

« La famille reçoit la notification d’affectation, elle peut également la télécharger »

« la place peut être réattribuée. »

« Mon enfant peut-il faire un vœu pour un lycée général et technologique »

L’obligation d’agir

 Par contre, « devoir » dans le sens de l’obligation d’agir, de la nécessité de l’action nécessaire, n’apparaît que deux fois dans la toute dernière phase de la démarche, à la fin de la page.

« Dans le cas contraire, il doit contacter »

« Dès sa réception et impérativement dans le délai mentionné, l’élève et sa famille doivent s’inscrire dans le lycée indiqué. »

Pour conclure

Voici donc une page qui se présente comme informative, apparemment. Mais, comme on l’a vu, elle fait tout autre chose. Les procédés d’édulcoration que nous avons repérés (et il doit y en avoir bien d’autres) permettent de déguiser nos procédures d’orientation. D’une réglementation qui s’impose, elles deviennent un ensemble de dispositifs et de services rendus aux familles permettant de faciliter la progression de leur enfant dans le système scolaire. Les manipulations du langage permettent ainsi de détourner l’attention et d’obtenir la soumission librement consentie[7], à l’insu de son plein grès[8]

Bernard Desclaux

Article publié sur le site : Le blog de Bernard Desclaux » Blog Archive » Une présentation édulcorée de l’orientation

[1] Cour des comptes. (19 mars 2025). Le rapport public annuel 2025. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-rapport-public-annuel-2025

[2] MENESR. (mars 2025). L’orientation en 3e et l’affectation en lycée. https://docs.google.com/document/d/1S-pA97hjVzOF83cf6qTOSDMk4mgHc2fBkBoMxo5KrGY/edit?tab=t.0

[3] Voir mon éditorial : CICUR (6 février 2025). L’orientation en fin de troisième : trois mystères et une question. Interpellation curriculum. Consulté le 8 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/139iw

[4] Micaud, V. et Gignoux-Ezratty, V. (2021). L’orientation de fin de 3ème : un impensé des théoriciens de l’école. https://static.mediapart.fr/files/2021/08/25/2021-apreslatroisieme-unimpense-micaud-ezratty-v2.pdf  

Murat, F. (2021). Les performances scolaires et l’orientation en fin de troisième selon le type de commune. Éducation & formations, 2021, Les territoires de l’éducation : des approches nouvelles, des enjeux renouvelés, 102, pp. 315-332. https://shs.hal.science/halshs-03347815 

Schneider, F. et Iasoni, E. (2023). L’orientation en fin de troisième reste marquée par de fortes disparités scolaires et sociales., pp. 1-4. https://shs.hal.science/halshs-04219707

Pirus, C. (2024). Le déroulement de la procédure d’orientation en fin de troisième reste marqué par de fortes disparités scolaires et sociales. Notes d’informations, 13.24, novembre. https://shs.hal.science/halshs-04219707 

Sabrina Foka, S. et Werquin, P. (2021). Choisir ou subir son orientation en fin de classe de troisième : les conséquences sur la performance des élèves de seconde professionnelle. Céreq Échanges n° 16, Sélections, du système éducatif au marché du travail, XXVIèmes journées du longitudinal. P. 747-760. https://www.cereq.fr/sites/default/files/2021-02/CECH-16.pdf 

Richard-Bossez, A. et Cornand, R. (26 mars 2024). L’orientation du collège au lycée : quel vécu pour les élèves en éducation prioritaire ? https://theconversation.com/lorientation-du-college-au-lycee-quel-vecu-pour-les-eleves-en-education-prioritaire-218656

[5] Nous reprenons ce terme « édulcoration » des travaux de LÓPEZ DÍAZ, M. (2013). Quand dire, c’est édulcorer et occulter : l’euphémisme dans l’information médiatique. Journal of French Language Studies. 23 (3), p. 377-399. doi : https://doi.org/10.1017/S0959269512000269

[6] Wikipédia. Fable de la grenouille. https://fr.wikipedia.org/wiki/Fable_de_la_grenouille

[7] Joule, R. V. et Beauvois, J.-L. (1998). La Soumission librement consentie : Comment amener les gens à faire librement ce qu’ils doivent faire ? Presses universitaires de France.

[8] Wikitionnaire. (9 août 2024) à l’insu de son plein gré. https://fr.wiktionary.org/wiki/%C3%A0_l%E2%80%99insu_de_son_plein_gr%C3%A9

 

Dernière modification le lundi, 14 avril 2025
Desclaux Bernard

Conseiller d’orientation depuis 1978 (académie de Créteil puis de Versailles), directeur de CIO à partir de 90, je me suis très vite intéressé à la formation des personnels de l’Education nationale. A partir de la page de mon site ( http://bdesclaux.jimdo.com/qui-suis-je/ ) vous trouverez une bio détaillée ainsi que la liste de mes publications.
J’ai réalisé et organisé de nombreuses formations dans le cadre de la formation continue pour les COP, , les professeurs principaux, les professeurs documentalistes, les chefs d’établissement, ainsi que des formations de formateurs et des formations sur site. Dans le cadre de la formation initiale, depuis la création des IUFM j’ai organisé la formation à l’orientation pour les enseignants dans l’académie de Versailles. Mes supports de formation sont installés sur mon site.
Au début des années 2000 j’ai participé à l’organisation de deux colloques :
  • le colloque de l’AIOSP (association internationale de l’orientation scolaire et professionnelle) en septembre 2001. Edition des actes sous la forme d’un cd-rom.
  • les 75 ans de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle). Edition des actes avec Remy Guerrier n° Hors-série de l’Orientation scolaire et professionnelle, juillet 2005/vol. 34, Actes du colloque : Orientation, passé, présent, avenir, INETOP-CNAM, Paris, 18-20 décembre 2003. Publication dans ce numéro de « Commentaires aux articles extraits des revues BINOP et OSP » pp. 467-490 et les articles sélectionnés, pp. 491-673
Retraité depuis 2008, je poursuis ma collaboration de formateur à l’ESEN (Ecole supérieure de l’éducation nationale) pour la formation des directeurs de CIO, ainsi que ma réflexion sur l’organisation de l’orientation, du système éducatif et des méthodes de formation. Ce blog me permettra de partager ces réflexions à un moment où se préparent de profonds changements dans le domaine de l’orientation en France.
Après avoir vécu et travaillé en région parisienne, je me trouve auprès de ma femme installée depuis plusieurs années près d’Avignon. J’y ai repris une ancienne activité, le sumi-e. J’ai installé mes dernières peintures sur Flikcr à l’adresse suivante : http://www.flickr.com/photos/bdesclaux/ .