Selon le suivi de l’UNESCO, 71 pays ont annoncé la réouverture de leurs écoles. Parmi eux, 12 ont déjà réouvert. 52, dont la France, ont décidé d’une date de réouverture au cours de l’année scolaire actuelle, et 7 ont reporté la réouverture à l’année suivante. 128 pays n’ont quant à eux pas encore annoncé de dates.
Pourquoi rouvrir les écoles ? Quelles sont les organisations internationales impliquées ? Quelles sont les différences d’approches entre pays ? Cet article propose un petit tour d’horizon.
L’UNESCO donne une vision mondiale et rappelle l’importance de réouvrir les écoles
Dans les pays occidentaux, les enseignants et autres professionnels de l’éducation témoignent depuis le début du confinement des nombreux effets de la fermeture des écoles : inégalités sociales exacerbées, enfants décrocheurs avec lesquels le lien se distend jusqu’à se rompre, absence de socialisation, résurgence de stress. Dans certains pays, on parle même de la peur que certains jeunes rejoignent des gangs (en Angleterre par exemple).
C’est le cas des pays occidentaux, les plus riches, les plus développés. Mais que se passe-t-il dans les pays pauvres ? Plusieurs organisations internationales travaillant de près avec l’UNESCO rappellent les raisons qui y rendent encore plus impérieuse la réouverture des écoles. Elles sont un rappel assez violent de l’immense inégalité des enfants dans le monde :
The longer marginalized children are out of school, the less likely they are to return
Robert Jenkins, Chief of Education at UNICEF, and Jaime Saavedra Chanduvi, Global Director for Education at the World Bank
Rising inequality, poor health outcomes, violence, child labour and child marriage are just some of the long-term threats for children who miss out on school
Henrietta Fore, directeur de l’UNICEF
Il est toujours dérangeant de rappeler que dans les pays pauvres, la malnutrition reste un fléau, et que l’école représente souvent le seul endroit de distribution de nourriture saine et nutritive. Il est encore plus choquant de se rendre compte que c’est également le cas dans des pays riches. La réalité des États-Unis et du Royaume-Uni m’a particulièrement choquée, mais on retrouve cette situation partout, y compris en France.
In the poorest countries, children often rely on schools for their only meal of the day. But with many schools now closed because of COVID, 370 million children are missing out on these nutritious meals which are a lifeline for poor families. They are also being denied the health support they normally get through school.
David Beasley, directeur de la Banque alimentaire mondiale
Quelles que soient les disparités que peuvent présenter les différents pays, la décision de rouvrir les écoles n’est donc pas qu’une question éducative. Dans de nombreux pays, c’est aussi une question de santé publique.
Un framework pour guider les actions politiques
Quatre organisations, l’UNESCO, l’UNICEF, la banque alimentaire mondiale et la banque mondiale ont publié un guide sur la réouverture des établissements scolaires. Le document de cinq pages inclut ainsi plusieurs dimensions :
Temporelles : avant la réouverture, pendant le processus de réouverture, après la réouverture
Thématiques : Sécurité des opérations, focus sur l’apprentissage, bien-être et protection, atteindre les plus marginalisés
Quelques points communs et enseignements des réouvertures d’écoles
La désorganisation, la difficulté d’organiser les différents acteurs, de faire communiquer des acteurs n’en ayant pas l’habitude. Clairement, les maîtres mots sont « débrouille, agilité, ingéniosité, créativité ». Ce qui place de fait les directeurs d’établissement au premier plan !
Les protocoles sanitaires draconiens et anxiogènes, qui semblent très complexes voire impossibles à suivre : nettoyage des classes plusieurs fois par jour, impossibilité d’utiliser les ressources pédagogiques (jeux, livres, etc.), faire respecter les gestes barrière dans les couloirs, aux toilettes, port de masques dans certains pays…
L’incompréhension des enseignants face à plusieurs injonctions : récupérer les élèves décrocheurs, occuper les enfants pour que leurs parents retournent travailler, « sauver » l’année scolaire. Ces injonctions n’ont pas l’air toujours cohérentes avec les dispositifs de réouverture : classes prioritaires, modalités d’ouverture, enfants réellement accueillis… Lorsqu’on leur dit que l’école doit rouvrir pour limiter le décrochage, mais sur la base du volontariat des parents, les enseignants rétorquent que les élèves qui ne viendront pas sont précisément ceux qui sont les plus à risque de décrocher. Entre relance de l’économie et relance de l’éducation, les enseignants pointent les incohérences.
La crainte et l’angoisse des parents, partagés entre des informations et des désirs contradictoires : retourner travailler, permettre à leurs enfants de retrouver des interactions sociales, ne pas perdre une année scolaire, leur éviter d’être contaminés… À ce sujet les multiples études contradictoires rajoutent à l’anxiété.
Le manque (l’absence ?) de voix des enfants. Il y a trop peu de témoignages de ce que pensent les enfants de cette réouverture. Et pourtant, cette situation conditionne aussi leur futur, qu’il soit éducatif, économique, sanitaire, écologique. Dans les très superficiels témoignages que j’ai pu lire, ils semblent très heureux de retrouver leurs amis. Mais comprennent-ils la situation ? Est-ce que ça a un sens pour eux de continuer l’année scolaire ? Se sentent-ils en sécurité ? Que ressentent-ils à l’idée de faire cours dans les conditions prévues par les protocoles sanitaires ? Qu’aimeraient-ils faire ? Quelles sont leurs idées, à partir des compréhensions qu’ils ont du virus et des gestes barrière à respecter ?
Les stratégies de réouverture de certains pays
France
Date de retour : à partir du 11 mai
Ordre de retour : les écoles primaires d’abord, les collèges ensuite, les lycées
Remarques
Les collectivités, qui se sont beaucoup manifestées contre la réouverture accélérée (lire par exemple cette tribune), ont finalement été laissées assez libres dans l’organisation du retour en classe. Quoiqu’imparfaite, la concertation semble plus large, la centralisation moins ferme.
La communication reste (très) compliquée entre de multiples acteurs qui n’ont pas l’habitude d’échanger régulièrement : Ministère de l’Éducation nationale, collectivités locales (région, départements, écoles), directeurs d’établissements, enseignants, parents.
Les situations sont également très dépendantes des architectures des établissements scolaires, des régions où le virus est plus ou moins répandu, de la sociologie des parents et de leurs enfants.
De très nombreux professeurs et directeurs d’écoles estiment qu’il est impossible de maintenir les protocoles sanitaires (lire la tribune du Café Pédagogique).
La question de la responsabilité est aussi un sujet complexe, et terrifiant pour les acteurs de l’éducation. Qui est responsable en cas d’infection : l’enseignant, le directeur d’école, l’inspecteur, le maire ? À ce sujet, lire l’article de Laurent Hazan, avocat à la Cour, spécialisé dans la protection fonctionnelle des enseignants .
Verbatim
Dans le cadre de la stratégie de déconfinement, il a été décidé d’ouvrir les écoles et établissements scolaires, progressivement, à partir du 11 mai 2020 pour les écoles maternelles et élémentaires et du 18 mai 2020 pour les établissements du secondaire, dans le strict respect des prescriptions émises par les autorités sanitaires.
Source : Site du ministère de l’Éducation nationale
La doctrine nationale est claire, mais des marges de manœuvre sont données au niveau local pour ce qui est de l’adaptation sur le plan physique de ces modalités
Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale
Je m’interroge sur les risques liés à cette réouverture en comparaison des bénéfices apportés : le nombre d’heures de cours sera très faible d’ici début juillet, sachant que les élèves auront forcément des emplois du temps allégés. Qu’est-ce que cela pèse par rapport au risque de diffusion du virus dans des familles déjà touchées par des problèmes de santé et vivant dans un désert médical ? Honnêtement, c’est de l’habillage social plus qu’un véritable argument social.
Ordre de retour : certaines classes rentrent en priorité, parce qu’elles sont rentrées en avril en classe, qu’elles doivent préparer leurs examens d’entrée en « Junior high school », ou qu’elles sont en dernière année.
Remarques
Le gouvernement japonais inclut dans sa stratégie de réouverture l’objectif de rester en phase avec les calendriers académiques mondiaux pour ne pas risquer de perdre des étudiants internationaux, et pour que leurs propres étudiants ne soient pas pénalisés.
Au 22 avril, environ 95% des écoles étaient encore fermées selon un sondage du ministère de l’Éducation.
Verbatims
“If all schools follow the measures of the hardest-hit municipalities, classes will increasingly fall behind schedule,” Hagiuda said, urging local authorities to reopen schools if possible based on their own judgment.
Ordre de retour : les écoles (« primary schools ») seraient priorisées
Remarques
Très prudent, le Royaume-Uni prône une ouverture des écoles par phases, avec un maximum d’informations communiquées aux « headteachers » (directeurs d’écoles).
Aucune date officielle n’a encore été annoncée, même si le 1er juin est évoqué dans un rapport.
Le gouvernement investit 100 millions de livres en équipement et en support IT pour les jeunes touchés par la « fracture numérique ».
La question des bons d’achats alimentaires pose de vrais problèmes en raison de retards multiples
Les politiques éducatives au Royaume-Uni dépendent de l’administration nationale. L’Écosse par exemple, se désolidarise de la stratégie de l’Angleterre, et n’a pas prévu de réouverture de ses établissements à l’heure actuelle.
Verbatims
It is incredibly important that we get the right balance in terms of actually making sure that we create an environment that is good to learn in but also that is a safe environment for people to both work in and learn in as well
Gavin Williamson, education secretary
One of the things we want to do as fast as we can is get certainly primary schools back. […] It’s not going to be easy but that’s where we want to go. It’s about working out a way to do it.
Boris Johnson, Prime Minister
[Nicola Sturgeon] said that any return to education would have to involve a blend of at-home and in-school learning, with certain year groups going back ahead of others: in particular those transitioning to secondary school and preparing for exams.Nicola Sturgeon, first Minister of Scotland
Les Danois ont rouvert parmi les premiers. Leurs protocoles sanitaires ont donc inspiré les pays voisins : division des groupes par trois, arrivées à heure décalée, lavage de main, etc.
Les classes au Danemark comptent en temps normal 20 élèves en moyenne. Les éclater en plus petit groupe semble donc plus aisé, d’autant que les personnels enseignants sont aidés d’assistants.
Les enfants danois doivent être autonomes sur leur nourriture, boisson et matériel (crayon à papier). Quand on voit que dans d’autres pays les enfants dépendent de l’école pour avoir accès à des plats nourrissants, on voit bien qu’on est dans un autre monde.
Le manque de matériel de protection, craint par les parents et les enseignants, n’a pas été un problème pour Dorte Lange, vice président du syndicat des enseignants. Les conseils médicaux se sont en effet concentrés sur le respect des gestes barrières, de l’isolation des élèves par groupes, d’une forte sensibilisation à l’hygiène.
Verbatim
We are glad to say the re-opening up to now has been quite successful
We can see many of the older students are not thriving at home. They really need to be back in the community of the school
Dorte Lange, vice president of the Danish Union of Teachers
Date de retour : 27 mai (si la situation continue à s’apaiser), puis le 8 juin
Ordre de retour : d’abord les lycéens (« senior secondary students »), ensuite les collégiens (« younger secondary students ») et les primaires (« older primary school pupils »)
Remarques
À Hong Kong, les élèves sont confinés chez eux depuis début février, la plupart sont passés à l’apprentissage en ligne.
Ici aussi, la stratégie est de commencer par faire revenir les élèves qui doivent passer des examens (par exemple le « Diploma of Secondary Education »). Des plus âgés, le 27 mai, aux plus jeunes, 15 juin.
La reprise se fera sur une base de demi-journée pour permettre la distanciation sociale. Les écoles revoient donc leurs emplois du temps pour permettre aux élèves de rattraper leur retard accumulé par 4 mois d’interruption de cours en présentiel.
Le ministère de l’Éducation prévoit également de fournir les protocoles sanitaires 3 semaines avant la reprise des classes, pour laisser aux écoles le temps de s’organiser.
Comme en Chine, une salle de classe pourrait être prévue pour les enfants présentant des symptômes, par exemple de la toux. Leurs parents seraient alors prévenus pour pouvoir rapidement tester leur enfant.
Verbatim
Teachers will also assess pupils’ learning progress when they meet face-to-face, so we can decide whether we need to make changes to the teaching syllabus
Cheung Yung-pong of the Aided Primary School Heads Association
Comme dans de nombreux pays se pose la question du manque de personnels, dans le cas où des classes sont divisées en trois sous-groupes. Au Québec, beaucoup de place manquent pour garder les enfants.
Il semble qu’une spécificité du Québec soit la forte fréquentation attendue à la réouverture des écoles. Elle atteindrait 80% dans certaines régions, contre les 50% attendus. D’où une pénurie de locaux et de personnels.
Cette spécificité peut s’expliquer du fait que la région a été peu touchée par le virus.
Merci à Ninon Louise LePage pour ses nombreuses contributions à ma veille québecoise
Italie
Date de retour : en septembre
Ordre de retour : non précisé
Remarques
La décision de ne pas rouvrir les écoles, selon la ministre de l’Éducation, se base sur les recommandations d’un comité scientifique. À noter que le comité scientifique français avait émis la même recommandation.
En Italie, le gouvernement a déjà décidé d’investir sur l’éducation, considéré comme devant jouer un rôle crucial dans le processus de récupération de la crise. De très nombreux recrutements sont ainsi prévus.
La crise a bousculé le système éducatif italien, particulièrement conservateur, sur des questions de pédagogie, d’évaluation et de rapports aux notes notamment (lire cet article à ce sujet).
Verbatim
We are hiring 24,000 teachers, encouraging young people to join the teaching profession and starting the school year with a massive initiative of remedial classes.
Lucia Azzolina, ministre de l’Éducation de l’Italie
Ordre de retour : les élèves des collèges/lycées qui passent leur MSA (équivalent du brevet) et leur Abitur (équivalent du bac)
Remarques
En Allemagne, chaque Land a sa stratégie spécifique à la progression du virus, à sa population, à sa politique éducative, etc.
Les écoliers sont rentrés le 4 avril, après les collégiens et lycéens qui ont finalement permis de tester les protocoles sanitaires. Certains s’en sont d’ailleurs émus, estimant qu’ils n’étaient pas des « guinea pigs ».
Les consignes ont été données par les autorités (des Länder) aux établissements, qui ont ensuite du improviser.
Des programmes sont prévus pour accompagner les élèves pendant les vacances d’été.
Christian Drosten, un virologue berlinois qui conseille le gouvernement, a sorti une nouvelle étude montrant que les enfants transmettaient autant le virus que les adultes, ce qui a particulièrement jeté le trouble et angoissé les parents.