Le premier de ces courants est le multiculturalisme.
L’arrivée massive de jeunes issus de l’immigration vient perturber la transmission des savoirs scientifiques et d’une culture judéo-chrétienne en même temps qu’elle bouscule les règles précédemment établies et, le plus souvent, tacitement acceptées de la vie scolaire puis sociale.
De ce fait, l’école n’est plus, comme dans un passé récent, l’outil d’intégration permettant de lisser les différences tout en actionnant les leviers de l’ascenseur social. L’acquisition de savoirs, de règles de grammaire et de comportement, savoir faire et savoir être, contre un bien vivre au moins relatif : cela ne fonctionne plus et pour diverses raisons.
Le contraire de l’intégration étant l’exclusion, une partie de ce qui devrait être et que l’on nomme encore communauté scolaire se sent rejetée par l’autre. Les conséquences sont énormes et engendrent tout à la fois des crispations identitaires et la prégnance du sentiment religieux pouvant aller jusqu’au fanatisme. Ainsi les règles de vie sont remises en question et les manifestations et signes d’appartenance religieuse se multiplient. La transmission des valeurs de la république y compris l’égalité homme femme est rendue plus difficile et la distinction pourtant fondamentale entre connaissance et croyance est contestée.
Face à ces périls, la première tentation est de faire de l’école une forteresse assiégée et de fermer les frontières du savoir et de l’éducation comme d’autres pensent pouvoir fermer les frontières des pays. Une telle attitude est évidemment impossible et c’est tant mieux :
L’adhésion aux valeurs de la république, l’autorité du savoir scientifique, l’égalité entre les hommes et les femmes…ne sont pas spontanément acquises, c’est donc qu’elles doivent être source de réflexion, occasion d’échanges, objet d’enseignement. Qu’on le veuille ou non la société de demain sera multiculturelle et l’école doit la préparer.
Le deuxième de ces courants est numérique.
L’arrivée massive des outils numériques et connectés dans la vie de tous les jours vient modifier le rapport des individus au savoir et changer par là même le rôle et la place de l’enseignant. Le tsunami décrit par Emanuel Davidenkoff n’est encore pas en train de balayer l’école mais, tout de même, elle ne peut ignorer que les connaissances sont mises à portée de clic par la toile via les Smartphones et autres ordinateurs.
Et, dans le même temps, elle ne doit pas feindre de croire que « c’est dans la poche » avec le Smartphone parce que apprendre, c’est beaucoup plus compliqué que cela et des compétences anciennes ou nouvelles prennent là une importance accrue : rechercher et trier des informations, exercer un esprit critique mais aussi, tout simplement, être un bon lecteur, savoir décoder une image, mais aussi bâtir un raisonnement et argumenter.
Qui plus est, il y a numérique et numérique. Des chercheurs dont André Tricot et Frank Amadieu se penchent sur l’impact du numérique dans les apprentissages et j’emprunte volontiers au dernier nommé l’expression : « le numérique ce n’est pas automatique ».
Les supports d’une séquence se doivent d’être pertinents avant que d’être numériques et adaptés aux élèves et adoptés par l’enseignant. Enfin, malgré l’abondance des cours en lignes et le recours aux réseaux sociaux et peut-être à cause de cela, c’est le besoin de présentiel , d’humain qui se fait sentir. Alors c’est une pression supplémentaire qui s ‘exerce sur les enseignants en charge de scénariser leurs séquences, en charge de rester les médiateurs qu’ils ont toujours été, indispensables pour que le savoir prenne vie et efficience. Qu’on le veuille on non le monde dans lequel nous entrons est numérique et l’école doit préparer nos jeunes à s’y insérer au mieux, à en tirer le meilleur profit et à en déjouer les pièges.
Le troisième de ces courants est écologique.
La notion de développement durable vient détruire l’idée que progrès scientifique et progrès pour l’humanité vont de pair pour peu que l’on injecte une dose d’éthique dans le processus. Les rapports à la matière, à l’énergie, à la vie sont bousculés et donc aussi les modes de production et de consommation. La COP21 n’engage pas que les états, elle engage tous les citoyens et c’est l’école qui a leur formation en charge. Le ministère de l’éducation nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche a clairement affirmé sa volonté d’accompagner cette transformation et de généraliser l’enseignement au développement durable dans tous les établissements scolaires.
Il y a là une culture commune à construire plus qu’à transmettre. Mais la construction ne se fait pas à partir de rien : les disciplines scientifiques traditionnelles, mathématiques, physique, chimie, sciences du vivant restent le socle sur lequel se fondent les nouveaux modèles. Leur enseignement et donc leur apprentissage peut en être dynamisé, vivifié par des finalités mieux précisées qu’auparavant. C’est l’occasion de revisiter les savoirs, de les éclairer pour que ce bouleversement soit philosophiquement et scientifiquement compris en même temps que socialement accepté. C’est aussi l’occasion de former aux métiers d’avenir que cette mutation engendre. Qu’on le veuille ou non la transition écologique est commencée et l’école doit l’accompagner.
L’intersection du vivre ensemble, du numérique et de l’écologique n’est pas vide, loin s’en faut.
Elle contient des valeurs et notamment celle de solidarité, solidarité entre les peuples mais aussi solidarité entre les générations et solidarité entre les individus.
Elle contient des compétences transversales et notamment celles qui permettent un travail collaboratif, celles qui permettent l’innovation.
Elle contient la notion de projet sans laquelle ces compétences ne peuvent pas être acquises.
Elle contient l’ouverture, la collaboration, la mutualisation des moyens, des ressources, des outils, des recherches.
Elle contient d’indispensables partenariats avec les collectivités locales, avec le monde associatif, avec le monde économique. Elle contient l’horizontalité des réseaux.
Il n’est donc plus possible de se poser la question : « à quoi sert l’école ? Ou à quoi peut-elle servir ? »Car elle seule est en capacité de relever ces trois défis simultanément et non séparément. Elle seule a, dans le paysage actuel, la possibilité de relier ces trois problématiques pour les traiter. Or il est évident que c’est gagner considérablement en efficacité que de faire ces liens et c’est aussi gagner en cohérence.
Ces trois « courants » engendrent trois défis que le système scolaire doit relever et peut transformer en chances de répondre aux aspirations du monde qui se construit et de renforcer son rôle social.
Jacques Puyou
Secrétaire national de l'An@é
Dernière modification le lundi, 23 mai 2016