#CulturesNum avec les étudiants des Masters Communication publique et politique, Consulting et expertise en communication et Stratégie et politique de communication de l’ISIC, Bordeaux Montaigne, nous a fait découvrir plusieurs ouvrages en 3 thématiques (Défis et enjeux de société, Algorithmes et gestion des données, Dangers et stratégies) : Bruno Patino, Eric Sadin, Cathy O'Neil, Dominique Cardon, Antonio Casilli, Baptiste Kotras...
Bruno Patino : La Civilisation du Poisson Rouge, l’univers numérique nous dépossède de notre temps « libre ».
Journaliste, auteur de plusieurs ouvrages sur les thèmes de la télévision, le numérique ou encore la presse à l’âge d’Internet, Bruno Patino peut être considéré comme un véritable spécialiste des médias et de la question du numérique. D’une plume remarquable et en adoptant un point de vue inédit car interne au sujet, il sensibilise le lecteur aux risques d’addictions technologiques et explique la manière dont les empires économiques se servent de cette dépendance pour en faire un business redoutable : l’économie de l’attention. Cette dernière ne cesse de gagner en puissance, et différentes stratégies sont mises en place pour que l’utilisateur ne puisse plus s’en passer.
La captologie, ou l’art de capter l’attention de l’utilisateur
La « captologie », un terme tout droit sorti du Persuasive Technology Lab (le laboratoire des technologies de la persuasion) désignant l’action de capter l’attention de l’utilisateur du monde numérique, avec ou sans son consentement. L’ouvrage de Patino déchiffre d’une profonde justesse les manières dont les géants aspirent à attirer notre attention.
https://educavox.fr/formation/analyse/bruno-patino-la-civilisation-du-poisson-rouge
Eric Sadin : l’orientation des vies individuelles et collectives par des systèmes techniques toujours plus performants et automatisés.
Dans une société idéale promue par l’IA et ses innovations, l’industrie du numérique promet de prévoir les besoins de chacun avant même que cela ne traverse nos esprits. Des plateformes voient le jour, elles permettent de mettre en relation l’annonceur avec un client (exemple de Amazon, du Marketplace de Facebook). Ainsi, l’offre répond à toutes les circonstances et s’adapte, à peine la demande émise elle propose une multitude de choix classée par pertinence selon des critères échappant à l’utilisateur. Ainsi, le consommateur devient dépendant à cette satisfaction (permise par l’IA) d’avoir toujours une réponse à ses besoins.
Manifeste pour l’action
Parallèlement à ces constats implacables sur les méfaits du développement de l’IA sur nos sociétés et plus largement sur le développement anthropologique de l’homme, propose des moyens d’agir pour refuser l’omniprésence de l’IA dans toutes les sphères de la société. Son idée est claire :
« C’est en nous décidant d’être actif tout au long de nos expériences vécues que peut se manifester le souffle premier d’une auto-institution de la société […] qui engage chacun d’entre nous à peser autant qu’il le peut sur les règles qui président à notre vie quotidienne » (p.253).
Pour l’auteur, une prise de conscience est nécessaire pour que l’Homme comprenne le conflit de rationalité qui s’instaure.
L’auteur présente les valeurs qu’il faut combattre et celles qui faut garder. En s’opposant à toutes les valeurs que l’on peut rattacher aux machines qui tendent à une productivité maximale. Elles n’ont pour temporalité que l’action alors que l’auteur voudrait que l’on revienne à des choses plus simples, plus proche de la nature. Contre la vérité il prône la « paresia », le fait d’avoir cette liberté de s’exprimer et de témoigner. Sadin n'accable pas l’IA, les dangers du numérique aujourd’hui sont en grande partie dû au laisser faire des hommes. C’est pour cela qu’en résumé, sa solution est que ce dernier reprenne en main toutes ses facultés et sa liberté.
Cathy O’Neil : Les modèles mathématiques sont programmés en fonction des profits recherchés, de l’objectif définit par une entreprise.
Le problème est que l’objectif recherché finit par générer sa propre vérité en s'auto justifiant à travers des modèles mathématiques.
Les programmes traitant de grandes quantités d’informations sont condamnés à se méprendre sur un certain pourcentage d’individus, à les classer dans les mauvais groupes et ainsi leur refuser un emploi ou la chance d’acquérir la maison de leurs rêves. Mais en règle générale, les personnes qui manient les ADM ne s’attardent pas sur leurs erreurs. Leurs systèmes sont conçus pour absorber toujours plus de données, affiner leurs outils d’analyse et rapporter ainsi toujours plus d’argent. Les investisseurs se nourrissent de ces profits et financent généreusement les entreprises qui conçoivent les ADM.
Les experts qui travaillent dans ces entreprises de Big Data estiment qu’aucun système statistique n’est parfait mais que les erreurs sont simplement des dommages collatéraux. Or les dommages collatéraux de ces systèmes imparfaits forment des dégâts importants et des injustices sociales, qu’ils perpétuent. Tous les aspects de la vie sont de plus en plus contrôlés par des modèles mathématiques, tenus secrets, qui attribuent des punitions arbitraires. En effet, il existe un choix stratégique voire même politique derrière ces algorithmes.
https://educavox.fr/formation/les-ressources/algorithmes-la-bombe-a-retardement-par-cathy-o-neil
Dominique CARDON explique que tout ce qui est publié sur le web n’est pas forcément visible par tous les internautes.
Il met alors deux éléments en avant : la loi de la puissance et les algorithmes.
La loi de la puissance est une « [règle] de distribution [fondamentale] des mondes numériques » (p. 148). Elle énonce qu’une infime partie des contenus publiés sur internet seront vu par les internautes : « 1% des contenus attire plus de 90% des internautes [et] 30% des contenus sont vus occasionnellement » (p. 148). Cela signifie que ce n’est pas parce que quelque chose est publié sur un site, un blog, une page personnelle, etc., que cela est vu par des milliards d’internautes.
Cette loi de la puissance tient entre autres de l’intervention des algorithmes. Dominique CARDON parle de ces derniers comme des « gatekeepers d’aujourd’hui » (p. 149). Il les définit comme des « techniques calculatoires » permettant « de transformer les données initiales en un résultat » (p. 354). Ainsi, on consulte à peine 1% des contenus numériques disponibles car des algorithmes « [classent], [filtrent] et [hiérarchisent] l’information » (p. 356). Ce traitement des contenus se fait de diverses façons, et notamment par les actions même des internautes. C’est en retweetant, en likant, en partageant, en citant un site, etc., que les internautes disent que tel ou tel site est plus intéressant qu’un autre, et donc lui donnent plus de visibilité. Ainsi, d’une certaine manière, les nouveaux gatekeepers sont également les internautes.
En attendant les robots, enquête sur le travail du clic Antonio Casilli
L’intelligence artificielle que l’entreprise commercialise n’existe pas et que le service proposé est en fait réalisé par de nombreux “travailleurs du clic” indépendants basés à l’étranger, chose qui revient beaucoup moins cher à l’entreprise.
A.Casilli cherche à comprendre le travail de ces personnes, leurs salaires, leurs conditions de travail et de nous les exposer à travers son ouvrage. Cette façade des robots et de l’IA dissimule en réalité l'exploitation de millions de “tâcherons du clic” soumis à des méthodes de management algorithmique.
A.Casilli tente de répondre à de nombreuses interrogations face aux bouleversements en cours et démontre en utilisant de nombreuses références et d’études de terrain que l’automation intelligente relève d’une illusion, voire d’un mirage que nous poursuivons sans jamais y parvenir. Cet ouvrage souligne non seulement que les robots ne remplaceront pas les humains, mais de plus, qu’ils représentent le prétexte idéal pour baisser les coûts, les salaires, et les droits des usagers et travailleurs. Telle est la thèse de l’ouvrage : l’automation en cours marque une altération du travail, organise son occultation et non son avènement.
https://educavox.fr/alaune/antonio-casilli-en-attendant-les-robots-enquete-sur-le-travail-du-clic
Baptiste Kotras : mieux comprendre comment nos opinions sont susceptibles d’être utilisées sur le web et à quel effet et quels mécanismes permettent de mesurer nos opinions.
Baptiste Kotras part du postulat que “les instruments technologiques qui mesurent les opinions ne sont pas neutres politiquement” .
En effet, face à tant de contenu exploitable, les entreprises chargées de mesurer ces opinions sont libres de choisir comme bon leur semble lesquelles analyser.
" Dire l’opinion, l’extraire, la mesurer, la donner à voir, constitue un acte nécessairement performatif et donc politique, qui consiste à faire exister un public ".
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Jennifer Elbaz, vice-présidente de l'An@é : On m’impose des points de vue, on m’enferme dans des raisonnements
Le format d’expression des réseaux sociaux ne permet pas de développer des points de vue.
Facebook autorise des textes longs mais comme tous les autres formats sont limités, les textes longs ont perdu la bataille cognitive qui se joue depuis l’avènement généralisé des réseaux sociaux. Twitter a imposé une expression en 140 caractères. Cela a entraîné des conséquences sur les cerveaux et la capacité de lecture des idées autres que les siennes. Instagram était au départ un moyen d’expression visuel, et finalement, les commentaires de publications ont été détournés, les stories ont été l’occasion d’exprimer des idées avec des mots, pas seulement des images. L’intensité de ce qui est dit peut-être importante, mais on reste sur des formats d’expression courts.
L’expression étant réduite, on se retrouve avec des résumés de résumés d’idées, de points de vue.
On simplifie à outrance des schémas de pensées complexes. On résume le résumé. Et à force de pratiquer cet exercice, on se retrouve dans des joutes verbales plus ou moins enlevées. Plutôt moins que plus, sur la quantité de ce qui est produit, si on est honnête. Je ne parle pas ici du vocabulaire ou du style littéraire des publications sur les réseaux sociaux. Je parle bien du fond, de l’argumentation, de ce qui est exprimé.
Pour vendre des idées ou des produits, les petits malins des réseaux sociaux l’ont bien compris : une démonstration brève sous forme de syllogisme est beaucoup plus efficace qu’un article de dix pages. Teintée en plus d’un minimum d’aplomb, même pas besoin de vérifier, nous tenons nos détenteurs de la vérité. Si jamais un visuel, même un Gif, illustre bien l’idée alors là… C’est vendu, acheté, même pas besoin de rétorquer.
Bref, raccourcis et simplifications font bon ménage sur les réseaux sociaux, et ce que ça produit ? Une polarisation des débats. « C’est celui qui dit qui y est ». Et bien entendu, « c’est le dernier qui a parlé qui a raison ». Quel que soit le sujet, la modération n’est plus de mise : les opinions doivent être tranchées. C’est l’un ou c’est l’autre. Si vous n’êtes pas du côté de l’un, vous êtes donc de l’autre. Jean-Baptiste Poquelin, tu nous manques terriblement, tes œuvres, en 2021, nous auraient apportées le recul que nous n’avons plus, nous aurions adoré nous moquer des uns, et tout autant des autres.
Lutter contre toutes les formes de désinformation, de manipulation, voire de domination dans l’univers du numérique
Elodie Gentina : YouTube peut représenter un danger en termes d’incitation à la consommation, puisque les entreprises vont tenter d’impliquer directement ou indirectement (idées, suggestions, communication, etc.) les adolescents dans le processus créatif de l’offre. Par ailleurs, il faut garder en tête les bases essentielles d'éducation aux médias et les réflexes d'esprit critique quand on navigue parmi les propositions de vidéos pour déjouer les pièges de fake news qui pourraient se présenter. Néanmoins, il s’agit d’un terrain offrant des outils intéressants pour aider les jeunes à s’exprimer et s’individualiser. D’où l’enjeu de mieux connaître ces usages pour mieux les accompagner et les encadrer.
Comme le rappelait Michel Pérez, président de l’An@é lors du débat sur la publicité des jeux d’argent en ligne : L’Éducation aux Médias et à l’Information a été instaurée par la Loi d’Orientation et de Programmation pour la Refondation de l’École de la République du 8 juillet 2013. « L'objectif d'une éducation aux médias et à l'information est de permettre aux élèves d'exercer leur citoyenneté dans une société de l'information et de la communication, former des "cybercitoyens" actifs, éclairés et responsables de demain. Former l’esprit critique, lutter contre la désinformation.
Doit-on encore croire en nos aspirations du siècle passé ?
Dans « Généalogie d’internet » et « Le web, un bien commun, Dominique CARDON s’attache à retracer l’histoire de la création d’internet et du web. Cela lui permet entre autres d’expliquer quelles sont les différences entre les deux : alors qu’internet « est un protocole [...] qui permet de mettre en communication des ordinateurs en utilisant différentes infrastructures de réseaux », « le web est un protocole de communication qui permet de relier entres elles des pages » .
En faisant cet historique, il montre quels étaient les enjeux et les idéaux derrière la création de ces deux entités (la vision militaire vs. la vision libertariste), et comment cela a encore des impacts sur nos conceptions et utilisations actuelles.
Captation d’attention, modèles programmés en fonction des profits, exploitation des « tâcherons du clic », sondages faussés, articles promotionnels déguisés en sujets d’actualité, addictions…la liste est plus longue encore sur les pratiques en cours.
Si nous reprenons la formule d’Eric Sadin : « Les dangers du numérique aujourd’hui sont en grande partie dû au laisser faire des hommes. C’est pour cela qu’en résumé, sa solution est que ce dernier reprenne en main toutes ses facultés et sa liberté ».
Information, formation, débats, propositions pour transformer l’école
Le monde de l’éducation se mobilise partout.
Ainsi, par exemple, nous signalerons l'Université de Liège qui organisait le 28 septembre dernier une journée d'étude réunissant enseignant·es et étudiant·es de l’ULiège pour déterminer la place des outils numériques dans les enseignements universitaires durant les prochaines années.
Un colloque est proposé les 12 et 13 novembre : La recherche en éducation dans le contexte de l'anthropocène
Jean-Claude Sallabery : Se dessine un nouvel « homme nouveau », dont on a encore du mal à voir quel citoyen s’y trouve en germe.
Il est assigné à résidence de robotisation et de clics, de façon plus ou moins insidieuse, par un progrès technologique numérique couplé à des neurosciences et sciences cognitives regardées comme miraculeuses, mais encore seulement — ou parce que — positivistes, comme toute science nouvellement née.
À nous, en tant que chercheurs, d’endosser notre part, modeste et sérieuse, dans l’élucidation des conditions et des moyens de l’intelligibilité d’un tel monde qui, à tous égards, « nous dépasse », et nous force donc à un renversement copernicien de nos équilibres théoriques et organisationnels.
Salon Educatice : Réussir la continuité éducative
Un élément essentiel est l’instauration d’un continuum éducatif, car si la pédagogie est l’affaire de l’école, l’éducation est un sujet global qui nous concerne tous, une continuité qui s’étend au-delà des temps scolaires via une action concertée des différents partenaires de l’éducation.
Rendez-vous donc, du 24 au 26 novembre au Salon Educatice ! L’An@é, toujours partenaire de l’événement y propose également un débat et un atelier sur ces questions.
Dernière modification le lundi, 08 novembre 2021https://www.educatec-educatice.com/programmes/programme-conferences-exposants